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    Lourdes                                  Conférence 1

     

                Apprendre à faire le signe de la croix avec Bernadette

     

    • Les catholiques ont l’habitude de faire le signe de la croix pour chaque prière ; celle du matin, du soir ou en toute autre occasion, en s’arrêtant devant une croix, en entrant dans une église par exemple, ou en entamant une miche de pain. La messe commence et s’achève avec le signe de la croix. On le fait au baptême et en fin de vie, et à chaque sacrement et il y a les onctions avec l’huile sainte ou le saint chrême au baptême, à l’onction des malades, à l’ordination sacerdotale. Essayons de regarder ce signe, on est tellement habitué à le faire ou à le recevoir que l’on y prête pas attention ou si peu. Et pourtant quel poids de sens s’y trouve attaché ! Il rappelle la croix du Christ et les paroles qui l’accompagnent renvoient à la Trinité. La 2ème conférence sera consacrée à la Trinité, celle d’aujourd’hui à la passion, à la mort et à la résurrection.La première fois que je fus à la grotte, c’était le jeudi 11 février 1858. J'allais ramasser du bois mort avec deux autres petites (Toinette, sa sœur, et Jeanne Abadie, dite Baloume). Quand nous fumes au moulin (de Savy), j'ai demandé aux deux autres petites si elles voulaient aller voir où l'eau du moulin allait se joindre au Gave. Elles me répondirent oui. De là, nous suivîmes le canal. Arrivées là (au pied du rocher de Massabielle) nous nous trouvâmes devant une grotte. Ne pouvant aller plus loin, mes deux compagnes se mirent à même de traverser l'eau qui se trouvait devant la grotte; donc je me trouvai seule de l'autre coté. Elles passèrent l'eau; elles se mirent à pleurer. Je leur demandai pourquoi elles pleuraient. Elles me répondirent que l'eau était froide. Je les priai de m'aider à jeter quelques pierres dans l'eau, afin de passer sans me déchausser. Elles me dirent pour toute réponse de faire comme elles. Alors je fus un peu plus loin pour voir si je pouvais passer sans me déchausser, mais impossible. Je revins devant la grotte, et je me mis à me déchausser. A peine si j'avais oté le premier bas, j'entendis un bruit comme si c'eût été un coup de vent. Alors j'ai tourné la tête du côté de la prairie. J'ai vu les arbres très calmes; j'ai continué à me déchausser. J'entendis encore le même bruit; comme je levais la tête en regardant la grotte, j'aperçus une Dame habillée de blanc, portant une robe blanche, une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied, de la couleur de la chaîne de son chapelet; les grains de son chapelet étaient blancs. La Dame me fit signe du doigt de m'approcher; mais je fus saisie, je n'osai pas; croyant être en face d'une illusion, je me frottais les yeux, mais en vain; je regardais encore et je voyais toujours la même Dame. »                        À cette étape du récit de Bernadette, c'est l'image des pieds nus de la Dame qui frappent mon esprit, raconte François Vayne, le responsable de la librairie et de la maison d’édition, ici même, à Lourdes, et me reviennent en mémoire ces mots du prophète Isaïe 52,7 : « Qu'ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix.» C'est un message de paix intérieure qui va nous être proposé, mais aussi d’approfondissement de la croix et de résurrection, de la trinité. Voici que cette petite fille de rien du tout, qui ne sait encore ni lire ni écrire va devenir maître en vie spirituelle. Là est l’un des paradoxes de cette vie. Et Bernadette continue son récit :                         « Alors je mis la main à ma poche, je pris mon chapelet. Je voulais faire le signe de la croix, mais en vain : je ne pus pas porter la main au front, elle m'est tombée. Alors le saisissement s'empara plus fort de moi; cependant je ne m'en fus pas. La Dame prit le chapelet quelle tenait entre ses mains et elle fit le signe de la croix. Alors je commençai à n'avoir plus peur. Je pris de nouveau mon chapelet, je pus faire le signe de la croix; dès ce moment, je fus parfaitement tranquille. Je me mis à genoux, et je dis le chapelet ayant toujours cette Dame devant les yeux. La vision faisait courir les grains du sien entre ses doigts, mais elle ne remuait pas les lèvres. Après avoir dit le chapelet, la Dame me fit signe d'approcher, mais je n'ai pas osé. Je suis toujours restée à la même place. Alors elle disparut tout d'un coup. Je me mis à ôter l'autre bas pour traverser le petit peu d'eau qui se trouvait devant la grotte, pour aller rejoindre mes compagnes. Et nous nous sommes retirées. Chemin faisant, j'ai demandé à mes compagnes si elles n'avaient rien vu. « Non », me répondirent-elles. » « Et toi, tu as vu quelque chose? » - « Oh! non, si vous n'avez rien vu, moi non plus. » Je croyais m'être trompée. Mais, en nous retirant, tout au long du chemin, elles me demandaient ce que j'avais vu. Je ne voulais pas le leur dire. Voyant qu’elles revenaient toujours sur cela, je me décidai à le leur dire, mais à condition qu’elles n'en parleraient à personne. Elles promirent de garder le secret. Elles me dirent que je ne devais plus y revenir, ni elles non plus, croyant que c’était quelqu'un qui voulait nous faire du mal. Je leur dis que non. Aussitôt arrivées chez elles, elles s'empressèrent de le dire, que j'avais vu une Dame habillée de blanc. Voilà pour la première fois »... Bernadette comprit, pas tout de suite, mais peu à peu, que dans le geste de cette Dame se trouve tout le message que Dieu veut lui communiquer, que Dieu nous a tant aimés qu’il s’est lui-même donné pour nous. Tel est le message de la croix, que cette Dame transmit ce jour-là sans parole à Bernadette ;C’était le charisme de Bernadette de bien faire le signe de la croix, d’en faire une prédication silencieuse..Une autre religieuse dit ceci : « J’avais toujours remarqué, lorsque Bernadette faisait le signe de la croix, qu’il y avait dans son attitude, dans l’ampleur de son geste quelque chose d’élevé, de surhumain, que je ne savais m’expliquer, mais que je cherchais à imiter sans y parvenir… »Et moi, et vous, comment est-ce que nous faisons le signe de la croix ?             La croix. « Si vous voulez posséder le Christ, ne le cherchez jamais sans la croix », dit saint Jean de la Croix. Bernadette n’avait pas besoin d’aller la chercher bien loin, la croix. Elle la vivait. Dans la pauvreté extrême du cachot. Papa Soubirous n’était pas un bon gérant de moulin ; il fit faillite. Incapable de payer un loyer, la commune lui ouvrit ce qui servait auparavant de prison, une pièce unique pour tout ce monde sans aucun confort. Pire que cela, il a été accusé l’année précédant les événements d’avoir volé deux sacs de farine et emprisonné, avant d’être reconnu innocent. Les parents n’ont rien que Dieu seul. Même du bois, ils ne peuvent pas s’en payer pour se chauffer et préparer les repas. C’est pourquoi la maman, qui fait des ménages pour gagner quelques sous, accepte que sa fille aille, malgré ses crises d’asthme, en ramasser sous les arbres des environs.                       ‘’Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, écrit le grand apôtre, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort. Ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu. Car c’est par Lui que vous êtes dans le Christ qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption, afin que comme il est écrit celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur (1 Cor. 127-31).’’ Le signe de la croix est évoqué dans Ezéchiel, il marque le front de ceux qui gémissent et pleurent. Cela se passe au temple :            ‘’Va, dit le Seigneur à l’homme vêtu de lin, parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d’une croix (en fait, la croix était la lettre Tav qui avait dans l’alphabet hébreu ancien la forme d’une croix) au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle’’. Je l’entendis dire aux autres : ‘’Parcourez la ville à sa suite et frappez. N’ayez pas un regard de pitié, n’épargnez pas ; vieillards, jeunes gens, vierges, enfants, femmes, tuez et exterminez tout le monde. Mais quiconque portera la croix au front, ne le touchez pas’’ (Ez. 9, 4-6).La croix sauve. ‘’Elle est folie pour ceux qui se perdent, mais puissance de Dieu pour ceux qui se sauvent’’, dit encore le grand apôtre (1 Cor. 1, 18). Si bien qu’il s’en glorifie : ‘’Pour moi, non, jamais d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ ; par elle le monde est crucifié pour moi comme moi pour le monde’’ (Gal. 6,14).‘’Le Christ a annulé le document accusateur que les commandements retournaient contre nous, il l’a fait disparaître, il l’a cloué à la croix, il a dépouillé les autorités et les puissances, il les a publiquement livrées en spectacle, il les a traînées dans le cortège triomphal de la croix’’ (Col. 2, 13-15).            Voilà ce que Cela (Aquero dans le dialecte de Lourdes), la Dame – la petite Bernadette ne sait toujours pas qui elle est – enseigne à la fillette dans cette première apparition. Et elle le fait sans paroles, par sa seule manière de faire le signe de la croix. Bernadette va peu à peu comprendre ce que Paul exprime ainsi : ‘’Je te le recommande devant Dieu qui donne la vie à toutes choses et devant Jésus-Christ qui a rendu devant Ponce Pilate son beau témoignage, observe ces prescriptions d’une manière irréprochable jusqu’à la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ’’ (1 Tim. 6, 13-14).     « Le Seigneur lui dit : "Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d'une croix (le Tav avait dans l’alphabet hébraïque la forme d’une croix) au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d'elle." Je l'entendis dire aux autres : "Parcourez la ville à sa suite et frappez. N'ayez pas un regard de pitié, n'épargnez pas : vieillards, jeunes gens, vierges, enfants, femmes, tuez et exterminez tout le monde. Mais quiconque portera la croix (Tav) au front, ne le touchez pas. Commencez à partir de mon sanctuaire." Ils commencèrent donc par les vieillards qui étaient dans le Temple. »« Et je vis un autre ange montant du côté du soleil levant, ayant le sceau du Dieu vivant ; et il cria à haute voix aux quatre anges auxquels il avait été donné de nuire à la terre et à la mer, disant : ‘’Ne nuisez ni à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons scellé (marqué du sceau) au front les serviteurs de notre Dieu » (Ap. 7, 2-3) En fait le sceau sur le front des élus ne va pas les soustraire de façon magique à toutes les épreuves. Ils souffriront, comme il est dit peu après au verset 14 : ‘’Ils viennent de la grande épreuve’’, mais le mal n’a pas le dernier mot. Leur ‘’passion’’ comme celle de l’Agneau, dans le sang duquel ils ont lavé leurs vêtements, les conduit au salut et à la vie. Le sang de l’Agneau n’est rien d’autre que la croix du Christ. Aussi l’Eglise, dès qu’elle prend conscience d’elle-même, dès les premières années après la mort du Christ va-t-elle chercher à évoquer la croix du Christ et le tav hébreux (qui est la dernière lettre de l’alphabet hébreux) est remplacé par le tau grec (qui n’est pas la dernière lettre de l’alphabet grec) à cause de la ressemblance de cette lettre avec la croix du Christ (n’oublions que la langue est alors le grec ; Paul écrit en grec, les évangiles sont écrits en grec) : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Cor 1, 23-25). Origène, par exemple, commente ainsi Ézéchiel : La croix, ne l'oublions pas, constitue d'abord un motif de gloire pour le chrétien, le sceau de sa rédemption, avant d'être l'évocation de la passion du Christ. Dans son commentaire du psaume 36, saint Augustin a ces mots très suggestifs : Ce symbole baptismal de la croix était imposé comme premier rite de l'initiation aux catéchumènes. C'est ainsi qu'au Ve siècle, par exemple, l'évêque Quodvultdeus commente le symbole : 2. Depuis quand et pourquoi les chrétiens d'Occident se signent-ils de haut en bas et de gauche à droite ? Le second texte vient de Luc de Tuy, chanoine de León, puis évêque de Tuy (mort en 1249) :                          ‘’Soudain, remarque le narrateur, Lord Henry, porta la main sur son front. Je crus qu’l avait senti l’huile sainte le toucher et voulait l’essuyer. O mon Dieu, fis-je intérieurement, ne le laissez pas faire cela. Mais il n’y avait pas besoin d’avoir peur : sa main glissa le long de sa poitrine, puis se dirigea vers l’épaule, et Lord Henry fit le signe de la croix. Alors je sus que le signe pour lequel j’avais prié n’était pas quelque chose d’anodin, un bref mouvement de reconnaissance, et une formule me revint de mon enfance, le voile du temple qui se déchirait en deux.’’Ayant partagé le sacrement, nous sommes liés les uns aux autres dans cette communauté fondée sur la vie divine sur laquelle s’ouvre la Croix.  «La seconde fois, c’était le dimanche suivant. J’y revins parce que je me sentais pressée intérieurement. Ma mère m’avait défendu d’y aller. Après la grand-messe, les deux autres petites et moi fumes encore le demander à ma mère. Elle ne le voulait pas, elle me disait quelle craignait que je tombe dans Veau; elle craignait que je ne fusse revenue pour assister à vêpres. Je lui promis que si. Alors elle me donna la permission de partir. Je fus à la paroisse prendre une petite bouteille d'eau bénite, pour la jeter à la vision lorsque je serai à la grotte si je la vois. Arrivées là, chacune prit son chapelet, et nous nous mîmes à genoux pour le dire. À peine si j'avais dit la première dizaine, j'aperçus la même Dame. Alors je me mis à lui jeter de l'eau bénite, tout en lui disant si elle venait de la part de Dieu de rester, et, sinon, de s'en aller. Elle se mit à sourire, à s'incliner; et plus je l'arrosais, plus elle souriait et inclinait la tête et plus je lui voyais faire des signes. Et alors, saisie de frayeur, je me dépêchais aussi de l'asperger jusqu'à ce que ma bouteille fût épuisée. Alors, je continuai à dire mon chapelet, elle disparut, et nous nous retirâmes pour aller à vêpres. Voilà pour la seconde fois. »             Marie a préparé la jeune voyante pour le grand moment de sa première parole. Le 18 février, Bernadette est à la grotte grâce à l'intervention de Madame Milhet, la patronne de Louise Soubirous, qui voulait voir ce qui se passe... «La troisième fois, le jeudi suivant, je jus à la grotte avec quelques grandes personnes qui me conseillèrent de prendre du papier, de l'encre et de lui demander, si elle avait quelque chose à me dire, d'avoir la bonté de le mettre par écrit. Je dis les mêmes paroles à la Dame. Elle se mit à sourire et me dit que ce qu'elle avait à me dire, ce n’était pas nécessaire de l’écrire, mais si je voulais avoir la grâce d’y aller pendant quinze jours. Je répondis que oui. Elle me dit aussi qu’elle ne me promettait pas de me faire heureuse dans ce monde, mais dans l’autre.»4. Nous entrons là au cœur du message de Lourdes (pour ce qui vient maintenant, je m’inspire du petit livre de François Vayne, Prier 15 jours avec Bernadette) : Marie va introduire doucement Bernadette dans le Saint des Saints, là où demeure Dieu. Mais écoutons la fillette : ‘’Ce que j’ai à vous dire, dit la Dame, ce n’est pas nécessaire de le mettre par écrit’’. - Elle parle le patois de Lourdes, le bigourdan : le ciel se met au niveau des hommes pour se faire comprendre (elle ne parle pas en latin !).Voyez à quelle profondeur de vie spirituelle la Dame mène la petite fille qui ne savait pas encore lire et écrire aux moments des apparitions et qui vient de commencer le catéchisme pendant le temps des apparitions.Ceux qu’elle appelle en faisant le signe de la croix, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La trinité !Moi non plus je ne suis pas un être solitaire. Impossible de vivre seul. Nul n’est une île, disait Thomas Merton, un moine cistercien américain dont les livres de spiritualité ont beaucoup aidé ceux de ma génération Nous avons besoin les uns des autres. Je n’existe que relié aux autres, aux parents d’abord et à la fratrie, mais au-delà de la petite famille, au village, au quartier, et finalement à l’humanité entière. Ensemble nous ne formons qu’un corps réunis par le ciment de l’amour, nous sommes les membres et le Christ, la tête. La petite Thérèse de Lisieux a fait l’expérience de cette communion universelle et elle l’a exprimée dans une fameuse page que je ne veux pas passer sous silence. Elle était malheureuse dans le carmel, car elle portait en elle des désirs immenses ; elle aurait voulu être une sainte et porter l’Evangile jusqu’aux limites de la terre, verser son sang comme les martyrs, célébrer la messe comme font les prêtres. Or, elle n’était rien de tout cela et elle était malheureuse, elle souffrait de sa situation jusqu’à ce qu’un jour elle lût le chapitre 13e de la Première lettre aux Corinthiens :Enfin j'avais trouvé le repos... Considérant le corps mystique de l'Église, je ne m'étais reconnue dans aucun des membres décrits par St Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l'Église avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l'Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d'AMOUR. Je compris que l'Amour seul faisait agir les membres de l'Église, que si l'Amour venait à s’éteindre,   les   Apôtres   n'annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES Les vocations, QUE L'AMOUR ÉTAIT TOUT, QU'IL embrassait TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX... EN UN MOT QU'IL EST ÉTERNEL !...Oui j'ai trouvé ma place dans l'Église et cette place, ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée… dans le Cœur de l'Église, ma Mère, je serai l'Amour... ainsi serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé ! ! !... ‘’  Mais le Saint-Esprit ?- A partir d’un texte de Grégoire de Nysse :
    • - A partir des premiers chapitres de Saint-Luc
    • Ainsi nous pouvons avoir une idée de la vie en Dieu à partir de notre expérience d’homme : nous constituons ensemble un corps dont les membres sont reliés les uns aux autres par l’amour. Dieu aussi est corps ou communion de plusieurs. Jésus nous l’apprend très clairement ; constamment il se réfère à son Père qui se manifeste lors du baptême, jusque dans l’agonie : ‘‘Père que ce calice s’éloigne de moi. Cependant non pas ma volonté, mais la tienne’’. Et s’il s’adresse à Dieu comme à son Père, il est, lui, le fils. Tut cela nous pouvons le comprendre à partir de notre expérience de la paternité et de la filiation.
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    • Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation, je l'ai trouvée, MA VOCATION, C'EST L'AMOUR !...
    • ‘’Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : ‘’Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente." Et l'Apôtre explique comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’amour… Que la Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement à Dieu.
    • Dieu n’est pas un être solitaire, mais une communauté.
    • Elle découvre qu’elle est la demeure de Dieu ou son tabernacle. Qu’en elle habite la plénitude de la divinité
    • - Vient alors l’essentiel : la Dame promet à Bernadette le bonheur du ciel au milieu de tous les tracas de la terre. Elle ne promet pas le ciel pour demain, mais pour aujourd’hui. Ici et maintenant, comme on dit. ‘’Si quelqu’un m’aime, écrit saint Jean, mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui et nous y ferons notre demeure’’ (Jn. 14, 23). La demeure de Dieu en nous, au plus profond de notre être. Saint Augustin dit dans les Confessions : ‘’Je t’ai cherché bien loin, alors que tu étais tout près, en moi, plus intérieur à moi que je ne le suis moi-même.’’ Notre intériorité, ce n’est pas rien, c’est, dit Jérémie, un jardin bien arrosé’’ ou comme dit Thérèse d’Avila, un château ou une vaste demeure intérieure. C’est là, dans ce château intérieur que Bernadette va découvrir son bonheur. Aussi peut-elle dire qu’elle est ‘’plus heureuse qu’une reine sur son trône’’.
    • - La dame vouvoie Bernadette, la petite fille d’un père chômeur et d’une maman femme de ménage. Le respect du ciel pour tout homme, riche ou pauvre.
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    • C’est à cette vie divine que Bernadette est appelée lors de la 3e apparition. Mais il y eut auparavant la 2e apparition, le 14 février au cours de laquelle Bernadette était entrée dans une profonde extase. On la croyait morte. En voici le récit fait par la voyante :
    • Le voile du temple se déchira en deux à la mort du Christ, et tout ce qui nous sépare du Saint des Saints est aboli. Le vieil homme a retrouvé sa demeure en Dieu, et nous en faisons autant. Nous commençons donc chaque eucharistie en nous bénissant, chacun pour sa part, au nom de Dieu, et la concluons par la bénédiction que nous nous donnons les uns aux autres par la personne du prêtre;
    •                         Parce que la croix ouvre à la vie divine partagée qui n’est rien d’autre que la vie trinitaire. Le Père Timothy Radcliffe évoque à ce propos un roman anglais (Brideshead Revisited). Lord Henry, un vieux mécréant, qui a fui Dieu presque toute sa vie est allongé, mourant, sur son lit. Il a reçu l’onction des malades, et Charles, son gendre, qui commence tout juste à s’éveiller à la foi, l’observe anxieusement pour voir s’il va faire le signe de la croix :
    • 3. Pourquoi faire mémoire de la Trinité dans le signe de la croix ?
    • « Une question se présente concernant le signe de la croix, si, lorsque les fidèles font le signe de la croix sur eux-mêmes ou sur d'autres, la main doit se diriger de gauche à droite ou de droite à gauche. A quoi nous répondons, selon ce que nous croyons et tenons loyalement que les deux méthodes sont toutes deux bonnes, toutes deux saintes, toutes deux aptes à surmonter la puissance de l'ennemi : pourvu seulement que la dévotion du chrétien en fasse usage avec la simplicité catholique. Toutefois, voyant que plusieurs s'efforcent, dans leur présomption, de supprimer l'une de ces deux méthodes, et soutiennent que l'on ne doit pas faire passer la main de gauche à droite, selon ce que nous avons appris de nos pères, nous allons dans une intention charitable, dire quelques mots à ce sujet. En effet, lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ, pour racheter le genre humain, bénit miséricordieusement le monde, il vint à nous du Père, il vint dans le monde, il descendit, à gauche pour ainsi dire, aux enfers ; et, montant aux cieux, il est assis à la droite de Dieu. Or, voilà précisément ce que tout fidèle chrétien semble retracer, lorsque, signant sa face du signe de la croix, il élève trois doigts étendus à la hauteur de son front en disant : In nomine Patris, les abaisse ensuite jusqu'au menton en disant : et Filii, les porte alors sur la gauche en disant : et Spiritus sancti, et enfin sur sa droite en prononçant : Amen ».
    • « Le signe de la croix doit se faire avec trois doigts, parce qu'on le trace en invoquant la Trinité, dont le prophète dit : Il a soutenu sur trois doigts la masse de la terre. Il est tracé de haut en bas, et ensuite coupé de droite à gauche, parce que Jésus-Christ est descendu du ciel en terre et a passé des Juifs aux Gentils. Certains, cependant font le signe de la croix de gauche à droite, parce que nous devons passer de la misère à la gloire, tout comme le Christ a passé de la mort à la vie et du séjour des ténèbres au paradis ».
    •                         Deux textes rédigés à quelques années d'intervalle, à la charnière du XIIe et du XIIIe siècle, vont, ici, nous servir d'appui. Nous tenons le premier du pape Innocent III (1160-1216) dans son ouvrage sur le sacrement de l'autel :
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    • « Vous n'êtes pas encore nés à nouveau par le baptême, mais par le signe de croix, vous avez été conçus dans le sein de l'Eglise». Ceux qui ne sont pas encore baptisés mais qui ont été marqués du signe de croix sont déjà considérés comme membres de l'Église.
    • « Elle (la croix) n'existe plus comme châtiment, elle subsiste comme gloire. Du lieu des supplices, elle a passé sur le front des empereurs».
    • « La forme de la lettre Tau présentait une ressemblance avec la figure de la croix, ce qui contenait une prophétie du signe que les chrétiens font sur leur front ; car tous les fidèles font ce signe en commençant toute action, particulièrement au début de la prière ou de la lecture de l'Écriture sainte».
    • Ce sceau ou ‘’Stempel’’ qui désigne l’expéditeur du document en même temps qu’il garantit la confidentialité du texte, représente en réalité l’Agneau et son Père, L’Apocalypse l’évoque vers la fin du livre quand il est question de la Jérusalem céleste où ‘’les serviteurs adoreront Dieu et l’Agneau assis sur leur trône au milieu de la ville ; ils verront alors sa face et son nom sera sur leurs fronts’’ (22, 4)
    • Le texte est clair. Le signe d’Ezéchiel préserve de la mort, comme il est un signe de salut, comme l’est dans l’Apocalypse le sceau marqué sur le front des justes :
    •                         Le signe de la croix constitue l'un des rites les plus antiques de l'Église qui remonte à la prophétie d'Ez. 9, 4-6:
    • 1. Origine du signe de la croix ou : pourquoi fait-on le signe de la croix ?
    •                                    Le signe de la croix et la Trinité
    • Lourdes Conférence 2
    •                                                            °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
    •             Encore un petit point par rapport à la croix : Jésus est bien mort pour nous ou pour nos péchés. Il faudrait citer ici plein de références. On le traduit parfois : pour notre salut. Mais en aucun cas Dieu n’a voulu la mort de son fils. C’est nous qui l’avons voulue, nous les hommes. Lui, au contraire, a voulu lui rendre la vie en le ressuscitant.
    •             La preuve que la résurrection précède la croix et l’emporte sur elle est que les croix jusque vers le treizième siècle ne représentaient pas le Christ de douleur, mais le Christ vainqueur, glorieux avec non pas une couronne d’épines, mais une couronne en or, une couronne royale. Regardez la croix de saint François, vous y verrez le Christ de gloire – avec les plaies, certes, tel qu’il s’est montré aux apôtres et aux nombreux témoins après la résurrection.
    •             Mais attention, pas de croix sans résurrection. Pas de dolorisme, il ne s’agit pas de s’apitoyer sur la croix, mais d’en entrevoir la victoire, comme le dit le chantVictoire, tu règneras. La croix du Christ n’existe plus pour nous que comme croix glorieuse. Pierre le proclame haut et fort au début des Actes des apôtres : ‘’Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié’’ (2, 36). Par la croix, l’adversaire a été vaincu, ceux qui l’accueillent sont libérés de tout esclavage et participent à la victoire divine :
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    •             Pourquoi t’est-elle apparue à toi ? lui a demandé plus tard une religieuse au couvent de Nevers. Réponse de Bernadette : parce que j’étais la plus pauvre. S’il y avait eu alors une fille plus pauvre que moi, c’est à elle qu’elle se serait montrée. Nous sommes là en plein saint Paul :
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    • M. Estrades, le percepteur d’impôts à Lourdes au temps des apparitions – il n’était pas très croyant au départ et très méfiant envers tout ce qui se passait alors, changea du tout au tout, en particulier par la manière dont Bernadette faisait le signe de la croix : «Je ne sais pas si au ciel on fait le signe de la croix, raconte-t-il, mais si c’est le cas, assurément on le fait comme Bernadette. »
    • Une sœur du couvent de Nevers là où Bernadette a vécu les dernières années de sa courte vie raconte : « Que de fois je me suis surprise à faire le signe de croix avec elle, tant je le trouvais bien fait. La manière dont elle le faisait indiquait qu’elle était remplie d’esprit de foi. Un jour ayant fait moi-même mon signe de croix très imparfaitement, elle me demanda si j’avais mal au bras ou si j’étais pressée. »
    • Bernadette le comprit si bien que tous ceux qui la virent faire dans la suite en furent étonnés.
    • Pourquoi n’arrive-t-elle pas à faire le signe de la croix ? Pourquoi se frotte-elle les yeux ? Elle a peur de ce qu’elle voit, dans la cavité du rocher, elle est comme paralysée. Et alors ? Alors cela qu’elle voit (aquero en bigoudan), qui ressemble à une belle dame toute blanche, telle qu’on la voit représentée partout dans toute les maisons, telle que vous la connaissez tous – nous savons, mais Bernadette ne savait pas qui elle était, cette dame. Quand elle la voit faire ce qu’elle-même voulait faire, elle y réussit; elle le fit et le fit avec une telle ferveur que tous ceux qui la virent faire en furent émerveillés.
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    • Bernadette dès la première apparition nous mène au cœur de notre foi. Ecoutons-en le récit, tel qu’elle-même nous le livre – la pauvre elle a dû le répéter de multiples fois :

    Il réfléchissait à l’unité des chrétiens entre eux et avec l’ensemble de l’humanité. Cette unité est un don, elle nous est donnée par le Saint-Esprit, comme dit l’apôtre. Et c’est là que Grégoire de Nysse vient à citer un passage de l’évangile de ce jour qui m’avait toujours paru obscure. Et il ajoute : le lien de cette unité, est la gloire. Aucun de ceux qui examinent cette question ne saurait y contredire, s’il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit. Cette gloire qu’il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l’a pourtant reçue lorsqu’il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l’Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l’Esprit, en commençant par les disciples. C’est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée ; qu’ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un.

     

     

     

     

     

     

    Conférence 3

     

                «Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre.»

    Ce sont les paroles de cela (aquero, en bigourdan). Comme les bergers de Bethléem en Saint-Luc : ils sont allés voir cela qui est arrivé, ils racontèrent ce qui  leur a été dit – ces choses – et cela se passait dans une grotte comme à Lourdes. Bernadette ne sait pas encore ce qu’est ce qu’elle voit, elle ne se prononce pas. Elle voit une dame la même qu’elle a vue à la première apparition

     

    L’histoire du signe de la croix et sa représentation à travers les siècles :

     

    Dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, le christianisme était mis au ban de la société. Aussi les chrétiens eurent-ils recours, pour manifester leur foi au Christ, à des représentations symboliques que seuls les initiés reconnaissaient : le poisson, la palme, le cerf, l’agneau et surtout ce qu'on appelle le monogramme du Christ, c'est-à-dire le "chi" et le "ro", qui sont les deux premières lettres grecques du mot Christ, assemblés en une figure unique, telle qu'on la voit sur le monogramme de Metz ici reproduit. Avec l'édit de Milan en 313, l'empereur romain Constantin accorde la liberté à l’Eglise chrétienne. Peu à peu celle-ci sort des catacombes et peut se manifester sans problème sur la place publique. Le Christ prend alors publiquement la forme de la croix telle qu'on la voit sur une pierre tombale de l’époque gallo-romaine, découverte à Metz-Sablon lors des fouilles de l’amphithéâtre. C'est la première figuration chez nous de la croix au IVe siècle.

    A l’époque carolingienne apparaissent et se multiplient les croix avec le Christ crucifié ou crucifix proprement dits. Cependant, on ne présente pas le Christ souffrant ou mort sur la croix, mais le Christ triomphant du matin de Pâques, avec la couronne royale en or sans épines, tel qu'on peut le voir, par exemple, sur l’icône de Saint-Damien, du début du XIIIe siècle, devant laquelle saint François s'est recueilli tant de fois.

    Quatrième et dernier moment dans l’évolution du regard chrétien sur le Christ crucifié : à partir du XIIIe siècle, la dévotion à la passion s'impose, comme on le voit sur la croix sculptée du portail de la Vierge Marie, qui est à l’entrée de la cathédrale de Metz : le Christ des douleurs. Il porte la couronne d’épines; il la porte encore aujourd'hui dans la plupart représentations.

     

    2e apparition le 14 février : Bernadette est en profonde extase.

    « La seconde fois, c’était le dimanche suivant (14 février). J’y revins parce que je me sentais pressée intérieurement. Ma mère m’avait défendu d’y aller. Après la grand’messe, les deux autres petites et moi fûmes encore le demander à ma mère. Elle ne le voulait pas, elle me disait qu’elle craignait que je tombe dans l’eau ; elle craignait que je ne fusse revenue pour assister à vêpres. Je lui promis que si. Alors elle me donna la permission de partir.  Je fus à la paroisse prendre une petite bouteille d’eau bénite, pour la jeter à la vision          lorsque je serai à la grotte si je la vois. Arrivées là, chacune prit son chapelet, et nous nous mîmes à genoux pour le dire. A peine si j’avais dit la première dizaine, j’aperçus la même Dame. Alors je me mis à lui jeter de l’eau bénite, tout en lui disant si elle venait de la part       de dieu de rester, et sinon, de s’en aller. Elle se mit à sourire, à s’incliner ; et plus je    l’arrosais, plus elle souriait et inclinait la tête et plus je lui voyais faire des signes. Et alors saisie de frayeur, je me dépêchais aussi de l’asperger jusqu’à     ce que ma bouteille fût épuisée. Alors je continuai à dire mon chapelet, elle disparut, et nous nous retirâmes pour aller à vêpres. Voilà pour la seconde fois. »

     

    3e apparition : L’entourage pousse Bernadette d’aller à la grotte avec de quoi écrire. La Dame dit à la voyante qui lui présente le papier et l’encre : «Ce que j’ai à te dire il n’est pas nécessaire de l’écrire »… « Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours »… Et là elle ajoute : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde mais dans l’autre ».

    L’approche divine demande un renoncement, une purification, ce que Dieu veut dire s’écrit dans le cœur, comme la nouvelle alliance de Jérémie : « Je leur donnerai  (à ceux qui ont été conduits loin de leur pays, les exilés au pays de Babylone) un cœur pour connaître que  je suis le Seigneur » (24,7) ou en Ezéchiel (11, 14-21) : « Viendra le jour où je vous rassemblerai du milieu des peuples où vous avez été dispersés et je vous donnerai la terre d’Israël. Je leur donnerai un seul cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau ; j’extirperai de leur chair le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu’ils marchent selon mes lois, qu’ils observent mes coutumes… Alors ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. »

    Aquero dit vous à Bernadette et elle parle son patois, elle lui parle avec respect, à elle, la fille de rien, la fille de chômeur et de femme de ménage, elle la regarde non pas comme une chose, mais comme une personne, et elle en est bouleversée. Le même respect que l’on trouve dans l’épisode de la Samaritaine en Saint-Jean (4, 9) : la Samaritaine a été de la même façon bouleversée au puits de Jacob parce qu’un Juif s’adressait à elle – il y avait alors une grande hostilité entre les deux peuples, les Juifs et les Samaritains.

    Puis vient le grand message. Elle me dit aussi… Bernadette dira plus tard : « La sainte Vierge ne m’a pas menti ; la première partie de ses paroles se vérifie, ça, je le tiens, je suis sûre de l’avoir » - la pauvreté, la maladie, la manière honteuse dont elle est reçue au couvent chez les religieuses, elle, la « bonne à rien ». Or ce qui frappe les contemporains, c’est la joie mystérieuse de Bernadette. « Je suis, dira-t-elle plus tard, plus heureuse qu’une reine sur son trône ». Dès cette vie elle est secrètement introduite dans l’ « autre monde ». De plus en plus.

    Il y a là tout un chemin qui s’ouvre  devant la petite Bernadette sous la houlette de la Dame, un chemin spirituel qui la mène d’elle, de là où elle se trouve, jusqu’au plus secret du cœur ou jusqu’au sommet de la montagne, comme dit le grand mystique espagnol Jean de la Croix, là où se fait la rencontre de Dieu.

     

                            Le Seigneur descendit sur la montagne du Sinaï, au sommet  de la             montagne. Il appela Moïse et Moïse monta… (Ex. 19, 16-25)

     

    Le prophète Elie fit la même expérience au moment où le roi Achab chercha à le tuer à cause de son zèle pour le Dieu de ses Pères et qu’il dut se cacher dans le désert. La vie lui parut insupportable au point qu’il souhaita mourir. C’est alors que Dieu le réconforta :

     

                          Il se leva, mangea une galette qu’un Ange lui apporta et but dans une gourde d’eau, puis soutenu par cette nourriture il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à            la montagne de Dieu, l’Horeb.

     

    Là il fit l’expérience de Dieu.

    La grande découverte de Bernadette  fut celle-ci : l’autre monde n’est pas pour l’après-vie, il est ici et maintenant et c’est la prière. Rien d’autre que la prière ou la rencontre avec le Seigneur. Découvrir que le Seigneur n’est pas loin, que je n’ai pas à traverser la mer, il est plus intérieur à moi que je ne luis moi-même, comme  le dit si bien saint Augustin dans ses Confessions. Quitter le moi superficiel, creuser en soi comme on creuse un puits, atteindre l’eau dans les couches profondes de la terre. Laisser mon « petit monde » ou comme dit Maurice Zundel, le moi préfabriqué, ce qui est donné à la naissance, ce avec quoi je suis venu au monde, notre être biologique, pour qu’advienne le vrai moi, l’autre vie ici et maintenant. Que mon âme se déploie comme un jardin bien arrosé, qu’elle devienne l’habitation divine qu’elle aspire à être. C’est cela l’autre vie dont parle la Dame. La souffrance n’est pas absente dans cette autre vie, mais elle est transfigurée comme on le voit dans le corps glorieux ou le corps ressuscité du Christ. Les blessures de la croix n’y sont pas détruites, elles sont illuminées, transfigurées. Dans ma vie de croyant tout demeure de l’ancienne vie, les mêmes souffrances, les mêmes difficultés, la même banalité des jours ordinaires, mais elles prennent sens : à travers elles, Dieu m’enfante pour une vie nouvelle. Il faut renaître pour entrer dans le royaume de Dieu. Mais comment puis-je renaître, moi qui suis déjà vieux ? Nicodème avait posé la question au Christ. Il ne s’agit pas de retourner dans le sein de sa mère, mais de se laisser remodeler par la grâce d’en-haut.

    On ne peut mieux dire que saint Paul dans 2 Cor. 4, 16-18 :

    Frères,

    Dans tout ce qui nous arrive

    Nous ne perdons pas courage,

    Et même si en nous l’homme extérieur s’en va vers sa ruine,

                         l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour.

    Car nos épreuves du moment présent sont légères

    Par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent.

    Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ;

    ce qui se voit est provisoire,

    ce qui ne se voit pas est éternel.

    Bernadette a des mots tout simples pour dire cela : « Je pensais que le Bon Dieu le voulait. Quand on pense que le Bon Dieu le permet, on ne se plaint pas ». Elle pensait aux malheurs de sa famille avant les apparitions. Elle découvre aussi que ce n’est pas elle, son apparence qui importe, mais cela qui est caché dans son cœur et dans le cœur de chaque homme. Christian Bobin écrit dans un texte tout court ceci : Est homme celui qui va « comme va le Christ sur les chemins de Palestine, tête nue », dans la recherche jamais interrompue d’autrui qui est plus grand que soi… Et le premier venu surprend par la noblesse de sa solitude, par la beauté perdue de ses jours. Ne me regardez pas moi, dit le Christ, regardez plutôt le premier venu et ça suffira, ça devrait suffire…

    Je ne cesse de m’étonner du chemin que cette petite Bernadette fit sous la houlette de la Vierge Marie. Marie lui a ouvert les yeux, comme cela s’était passé pour le grand apôtre Paul sur le chemin de Damas.

    Et elle, la petite fille de rien du tout, qui ne savait même pas lire et écrire lors des apparitions devient à son tour maîtresse de vie spirituelle. Elle avait beaucoup de goût pur la lecture ; et la maladie lui laissait le loisir de se livrer à cet attrait de son esprit et de son cœur. Et souvent elle faisait des réflexions comme celles-ci: « Je n’aime pas les Vies de Saints où on les présente comme entièrement parfaits, d’une perfection tout unie, sans une défaillance, sans une faute, sans une inégalité. Ils sont tellement célestes que cela tend à nous décourager, nous, qui sommes si loin d’un tel état… S’ils y sont arrivés (à la perfection), on devrait au moins nous marquer toutes les étapes du chemin qu’ils ont suivi pour y parvenir… La contemplation de leur triomphe total ne m’enseigne rien : c’est la vue de leur combat qui m’apprendrait à lutter… Il faut qu’on nous montre qu’ils étaient comme nous, afin qu’ensuite nous-mêmes nous devenions comme eux.» (Henri Lasserre, Bernadette, la voyante de Lourdes 1926 p. 189-90).

    Elle devint aussi maîtresse en Bible. C’est encore Henri Lasserre qui en témoigne :

     

    « Le texte des Ecritures avait pour la voyante de Lourdes un charme profond dont elle ne se lassa jamais. Oserons-nous dire qu’elle le préférait à tous les sermons ? Elle y trouvait une saveur inexprimable, une saveur sans cesse renaissante que son intelligence ou son âme ne savaient point toujours goûter dans les commentaires les plus éloquents. Parfois on la surprenait l’Evangile à la main, versant des larmes sur les douleurs de l’Homme-Dieu. 

    …La Passion, disait-elle, me touche plus quand je la lis que quand on le la prêche. 

     

    L’appel et la vocation de Bernadette (sur internet).

     

    Sa vocation ? Il est évident que les apparitions ont marqué le cours de sa vie.  Par elles  elle a découvert des points essentiels : d’abord à faire le signe de la croix, puis à découvrir le bonheur (Il n‘est pas en ce monde, mais en l’autre), à s’ouvrir à l’au-delà dans les longues extases. Et surtout : Au lendemain des apparitions, Bernadette s'interroge sur le sens à donner à sa vie.

    Et moi est-ce que je m’interroge sur le sens à donner à ma vie ? Car moi aussi, Dieu m’appelle, comme il a appelé les prophètes, comme il a appelé Paul et les apôtres. Je voudrais méditer avec vous un instant ce que Paul écrit aux chrétiens de Rome à propos d’Abraham : « Il est notre père devant Celui en qui il a cru, qui fait vivre les morts et appelle à l’existence ce qui n’existe pas ». Il m’appelle, cet appel me fait être…, sans lui je ne serais pas

     

    Bernadette se sent appelée à devenir religieuse, mais dans quelle congrégation? Elle se met en recherche. Le carmel de Bagnères-de-Bigorre l’attire d’abord. En 1860-1861, elle parle de rejoindre un ordre religieux dédié à saint Bernard. Elle aimerait y entrer pour les veilles, jeûnes, discipline et autres mortifications qui s'y vivent… mais sa mauvaise santé semble être un obstacle ainsi que sa pauvreté car une dot est demandée. En 1863, les sœurs de la Charité de Nevers, en mission à l’hospice de Lourdes, l’orientent vers le soin des malades. Pour Bernadette, à leurs côtés, c'est une expérience décisive. Ce qu’elle apprécie, entre autres, chez les sœurs de Nevers, c’est leur discrétion à son égard, en contraste avec d’autres, qui la sollicitent de toutes parts. Elle dira plus tard : «Je vais à Nevers parce qu’on ne m’y a pas attirée».

    Le 27 septembre 1863, Bernadette a une conversation très intéressante sur son avenir avec Mgr Forcade, évêque de Nevers, de passage à Lourdes.

    Les mois suivants, Bernadette mûrit son discernement. Le 4 avril 1864, après une messe célébrée à l’hospice de Lourdes, elle va trouver la supérieure des religieuses, sœur Alexandrine Roques et lui dit : «Je sais maintenant, ma chère Mère, où je dois me faire religieuse […]. Chez vous, ma chère Mère».

    Du 4 octobre au 19 novembre 1864, Bernadette est partie se reposer, loin de Lourdes, sans avoir la réponse à sa demande du 4 avril. A Nevers, la supérieure, Mère Joséphine Imbert, hésite: elle s’inquiète des perturbations que la célébrité de Bernadette risque d’entraîner pour la maison religieuse qui la recevrait. Mère Marie-Thérèse Vauzou, la maîtresse des novices, émet un avis favorable. L’évêque de Nevers appuie la demande.

    Le 19 novembre 1864, en rentrant à Lourdes, Bernadette trouve une bonne nouvelle : la réponse est positive. Le postulat peut donc commencer dès à présent, depuis Lourdes. Mais Bernadette tombe gravement malade, de début décembre 1864 à la fin du mois de janvier 1865. Sa convalescence est attristée par le décès de Justin, son petit frère.

    Bernadette commence finalement son postulat en février 1865. En avril 1866, elle rédige sa demande d'entrée au noviciat de Nevers. Désormais, elle peut rejoindre la maison-mère des Soeurs de la Charité.

    Le 28 avril 1866, Bernadette annonce son départ pour Nevers. Mais Mgr Laurence, l'évêque de Tarbes,  tient à ce qu’elle soit présente à l’inauguration de la crypte (érigée à l'aplomb de la Grotte, dans le sanctuaire naissant). Bernadette assiste à la célébration et participe à la première procession officielle qui répond à la demande de la Vierge Marie. A cette occasion, Bernadette subit les assauts des curieux. Mgr Laurence autorise vite le départ de Bernadette pour Nevers. Le 3 juillet 1866, toute la famille Soubirous est réunie au moulin Lacadé - nouveau lieu d'habitation - pour le repas d’adieu. A Lourdes, Bernadette aura mûri pendant huit ans sa vocation de baptisée.

     

    La vocation religieuse

    Du 4 au 7 juillet 1866, Bernadette voyage de Lourdes vers Nevers. Une fois arrivée à la maison-mère des Soeurs de la Charité, après le témoignage qu’elle fera des apparitions, Bernadette coiffe le petit bonnet et revêt la pèlerine de postulante. Bernadette a formellement précisé qu’elle venait pour «se cacher». Bernadette a le mal du pays. Elle dira : «C’est le plus grand sacrifice de ma vie». Elle surmonte ce déracinement avec courage, mais aussi avec humour. De plus, elle assume sans arrière-pensée cette nouvelle étape : «Ma mission est finie à Lourdes», «Lourdes n’est pas le ciel». Bernadette prend l’habit religieux le 29 juillet 1866, trois semaines après son arrivée, avec 42 autres postulantes. Elle reçoit le nom de sœur Marie-Bernard. En septembre 1866, Bernadette voit son état de santé s’aggraver. En octobre 1866, elle est à toute extrémité. Le docteur Robert Saint-Cyr, médecin de la communauté, assure qu’elle ne passera pas la nuit. Mère Marie-Thérèse juge bon que Bernadette face profession in articulo mortis... Elle survivra à cette nuit. En décembre 1866, Bernadette apprend le décès de sa maman, Louise. Elle avait 41 ans. Le 2 février 1867, Bernadette, guérie, revient au noviciat. Le 30 octobre 1867, Bernadette fait profession entre les mains de Mgr Forcade, l'évêque de Nevers. Elle s’engage pour la vie à pratiquer les vœux de «pauvreté, chasteté, obéissance et charité». Chaque professe reçoit : le crucifix, le Livre des Constitutions, la lettre d’obédience et son affectation dans une maison religieuse. Bernadette est affectée à la maison-mère en tant qu'aide infirmière.

    En 1869, Bernadette est confrontée à de nouveaux problèmes de santé. En mars 1871, elle apprend le décès de son papa, François.

     De 1875 à 1878, la maladie progresse et c'est souffrante que Bernadette prononce ses vœux perpétuels. Le 11 décembre 1878, Bernadette s’alite définitivement, dans sa "chapelle blanche" comme elle appelle le grand lit à rideaux dans lequel elle passe ses longues nuits d'insomnie.

    Le 16 avril 1879, Bernadette décède : elle entre dans la Vie pour retrouver à jamais Jésus et la Vierge Marie, mais aussi tous ceux qui lui sont chers. Le 30 mai 1879, son cercueil est descendu dans le caveau de l’oratoire Saint-Joseph, dans le jardin de la maison-mère des Soeurs de la Charité de Nevers. Treize années durant, Bernadette aura pleinement vécu sa vocation de religieuse.

     

    La sainte

    Extrait de l'allocution du pape Pie XI pour la canonisation de Bernadette Soubirous :

    [...] "C’est la Sainte Vierge Immaculée qui vous a convoqués pour l’honorer elle-même et honorer sa petite servante, la petite, la grande sainte Bernadette, devenue la confidente de la Reine du Ciel. [...] La vie et la sainteté de Bernadette sont un fruit admirable et complet de la Rédemption. La nouvelle Sainte nous enseigne ce que le monde dédaigne et méprise : la vie cachée, la vie humble, de renoncement, qui est une des grandes leçons du Rédempteur, nous indiquant aussi ce précieux et divin enseignement : “Apprenez de Moi que je suis doux et humble de cœur”. L’Evangile se résume en cette leçon essentielle. Telle est bien la finalité de la vie chrétienne, la raison dernière des enseignements du Rédempteur qui, au cours de sa vie parmi les hommes, de Bethléem au Calvaire, est venu précisément pour que les âmes aient la vie, au sens strict du mot, et l’aient surabondamment. Le sentiment d’humilité qu’il a apporté au monde était totalement inconnu du monde païen, comme nous le constatons encore dans les régions qui ne sont pas évangélisées, infestées par les erreurs et les horreurs de toutes sortes. Quel contraste ! Après dix-neuf siècles, sainte Bernadette vient encore rappeler cette grande leçon à un monde où sévissaient l’arrogance de l’esprit, la superbe du cœur et le mépris de l’humilité.

     

    Lorsqu’une amie de Bernadette lui posa la question le lendemain de sa première communion : «De quoi as-tu été la plus heureuse : de la première communion ou des apparitions ?», Bernadette répondit : «Ce sont deux choses qui vont ensemble, mais ne peuvent être comparées – J’ai été heureuse dans les deux» (Emmanuélite Estrade, 4 juin 1858). Et son curé témoignait à l’Évêque de Tarbes au sujet de sa première communion : «Bernadette fut d’un grand recueillement, d’une attention qui ne laissait rien à désirer … Elle apparaissait bien pénétrée de l’action sainte qu’elle faisait. Tout se développe en elle d’une façon étonnante». Avec Bernadette, nous invoquons le témoignage de tant et tant de saints et de saintes qui ont eu pour la sainte Eucharistie le plus grand amour. Nicolas Cabasilas s'écrie et nous dit ce soir : « Si le Christ demeure en nous, de quoi avons-nous besoin ? Que nous manque-t-il ? Si nous demeurons en Christ, que pouvons-nous désirer de plus ? Il est notre hôte et notre demeure. Heureux sommes-nous d'être Sa maison ! Quelle joie d'être nous-mêmes la demeure d'un tel habitant ! » (La vie en Jésus-Christ, IV, 6).

     

    Mélanie - Timide, taciturne, renfermée, elle n’hésite pourtant pas à répondre quand il s’agit de l’Apparition. Elle reste quatre ans chez les Sœurs de la Providence : elle a peu de mémoire et moins d’aptitude encore que Maximin pour étudier. Dès novembre 1847, sa Supérieure craignait déjà que "Mélanie ne tirât vanité de la position que l’événement lui a faite". Cela s’explique chez cette fille pauvre, privée d’affection, "placée" dès l’âge de dix ans... et soudain projetée sous les feux de l’actualité. Au reste, elle est bonne chrétienne, et même pieuse. Elle essaie plusieurs fois "d’entrer en religion" mais en vain. Agressée par la curiosité, l’indiscrétion, les pressions de certains de ses visiteurs, avides de révélations politico-religieuses, Mélanie résiste mal à la tentation de jouer les oracles en reprenant les pseudoprophéties populaires sur la fin des temps qui réapparaissent périodiquement dans l’histoire de l’Eglise. Cependant, elle passe du Carmel de Darlington (Angleterre) à la Compassion de Marseille, puis reste dix-sept ans à Castellamare, près de Naples, écrivant secrets et Règle pour une hypothétique fondation religieuse : le Vatican prie l’évêque du lieu de lui interdire ce genre de publication mais elle cherche d’autres appuis. Après un séjour dans le midi à Cannes, nous la retrouvons à Chalon-sur-Saône, où, pour les mêmes raisons, elle a maille à partir avec l’évêque d’Autun. Elle retourne en Italie, près de Lecce, puis à Messine en Sicile ; revient en France, dans l’Allier, et finit d’y écrire une autobiographie mystique de mauvais aloi. Les 18 et 19 septembre 1902, elle passe à La Salette, et y fait le récit de l’Apparition. Puis elle retourne en Italie méridionale, à Altamura (Bari). Elle y meurt le 14 décembre 1904. Pauvre, croyante, pieuse, mais attachée à son propre sens, il est un point sur lequel Mélanie n’a jamais varié : ce qu’elle avait dit, comme Maximin, au soir du 19 septembre 1846, dans la cuisine des Pra, aux Ablandins. Maximin et Mélanie ont rempli leur mission. Le 19 septembre 1855, Mgr Ginoulhiac, nouvel évêque de Grenoble, résumait ainsi la situation : "La mission des bergers est finie, celle de l’Église commence".

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Conférence 4

     

     

     

    1. L’extase.

    Le dimanche 21 février, raconte le Henri Lasserre, «  avant le lever du soleil, une foule immense, plusieurs milliers de personnes (c’est dimanche, jour de repos, les gens sont plus disponibles qu’un jour de semaine) d’hommes et de femmes étaient déjà réunis devant la Grotte et tout autour. C’était l’heure où Bernadette avait coutume de venir. Elle arriva, enveloppée de son capulet blanc, suivie de quelques uns de siens, sa mère ou sa sœur. Ses parents avaient assisté la veille ou l’avant-veille, à ses extases ; ils l’avaient vue transfigurée, et maintenant ils croyaient.

    « L’enfant traversa simplement sans assurance comme sans embarras la foule qui s’écarta avec respect devant elle en lui livrant passage ; et sans paraître s’apercevoir de l’attention universelle, elle alla, comme si elle eût été toute seule au fond d’un désert, s’agenouiller et prier… »

    « Quelques instants après on vit son front s’illuminer et devenir rayonnant. L’apparition se manifestait devant elle. Tous ses traits montaient, montaient, et entraient comme dans une région supérieure, comme dans un pays de gloire, exprimant des sentiments et des impressions qui ne sont pas point d’ici-bas. Les yeux fixes et bienheureux contemplaient une beauté invisible qu’aucun autre regard n’apercevait, mais que tous sentaient présente, que tous, pour ainsi dire, voyaient par réverbération sur le visage de l’enfant. Cette pauvre paysanne semblait ne plus appartenir au pays de l’exil…

    « Tous ceux qui ont vu Bernadette en extase parlent de ce spectacle comme étant tout à fait sans analogue sur terre. Lorsque dix ans après nous en avons interrogé un grand nombre, leur impression était aussi vive que le premier jour.

    « Et malgré tout Bernadette gardait conscience de ce qui se passait autour d’elle.

    Ainsi un souffle de vent ayant éteins son cierge, elle étendit la main pour que la personne la plus proche le rallumât.

    Quelqu’un ayant voulu avec un bâton toucher l’églantier, elle fit instinctivement signe de le laisser, et son visage exprima la crainte. Un des observateurs, le docteur Dozous, était à côté d’elle. – Ce n’est là, pensait-il, ni la catalepsie avec sa roideur, ni l’extase inconsciente des hallucinés, c’est un fait extraordinaire, d’un ordre tout à fait inconnu à la médecine. »

     

     

     

    1. Retour sur la vocation de Bernadette d’après le Père Horacio Brito (art. Bernadette et la Croix dans Le signe de croix, synthèse de notre foi)

    Quel a été le lieu précis de Bernadette ? Le lieu où elle a donné sens à sa vie, le lieu de sa vocation ? Le lieu où elle a donné sa vie ? Sa place sur terre ? La grotte, ce n'était que quinze jours. Le lieu précis de Bernadette a été l'infirmerie de Nevers. Cette fille est entrée chez les sœurs de Nevers, chez les sœurs de la Charité et de l'Instruction Chrétienne de Nevers. Pourquoi ? Parce que les sœurs aiment les pauvres. Donc quelque part, elle se voyait comme sœur à Nevers dans une vie active, peut-être envoyée en mission.

     C'est un projet qu'elle a élaboré. Son noviciat s'est passé très mal. Elle a failli mourir deux fois. Au bout de ses deux ans, elle arrive à faire sa profession avec 43 autres novices. Et puis voilà, le lendemain, les nouvelles professes passaient devant les supérieures et l'évêque et puis on dit : « Qu'est-ce que l'on fait avec cette fille ? Elle est toujours malade.

     Ecoutez, nous allons l'envoyer à l'infirmerie. » On se rend compte qu'elle ne connaissait pas le métier d'infirmière. Donc, elle préparera les tisanes.

    Le grand projet de Bernadette, au lieu de partir dans un pays de mission, va consister à monter au premier étage. Et cette infirmerie qui nous dit tant sur la vie de Bernadette, c'est là où elle fera le don de sa vie. Et c'est là où elle s'identifiera au Christ. Cette infirmerie deviendra pour elle sa « chapelle blanche ».

    Je vais vous lire un texte. Ecoutez ce que dit Bernadette sur sa vie active.

    « Ah ! que le Bon Dieu a bien fait de ne pas me laisser le choix de mon genre de vie. Car assurément, je n'aurais pas élu de moi-même cette inaction où je suis réduite, où la Providence me veut. Il me semblait que j'étais née pour agir, pour me remuer, pour être toujours en mouvement. Le Seigneur me veut immobile. Mon bonheur serait de chanter les cantiques, les psaumes, les louanges de Jésus et de Marie. Dieu m'a donné de la voix, mais il veut que je sois muette. Quand je chante, je crache le sang, et on me défend de chanter. J'aurais tant aimé soigner les malades dans les hospices, élever les enfants, faire la salle d'asile, voyager. C'est là mon attrait, c'est là mon désir, c'est là mon élan. Hélas, je suis inutile en tout. Je n'acquiers aucun mérite ». Et ses yeux s'imprégnaient de mélancolie. Alors elle essaye de se frayer une voie, de faire autre chose.

     

     

    Si ce n'est pas ça le lieu, où est-il ? La vie active de Bernadette.

    Et puis qu'est-ce qu'elle nous dira, à ce propos, dans cette infirmerie ?

    «Je suis plus heureuse avec mon crucifix sur mon lit de souffrance, et en faisant le signe de croix qu'une reine sur son trône ».

    Elle supporta ses souffrances, ordinairement très vives, avec une grande résignation, sans se plaindre. Quand ses compagnes lui faisaient remarquer qu'elle était souvent sur la croix, elle prenait son crucifix et disait : «Je suis comme lui. »

    Dans la première intervention, il nous a été dit que saint Paul s'identifia au Christ par la Passion. Marie devient la Mère de l'humanité lorsqu'elle est au pied de la croix, par la Passion du Christ. Bernadette s'identifie à Marie, et donc au Christ, au moment de la Passion.

    Donc c'est le lieu, un lieu où l'on fait le passage. L'avons-nous découvert- ? Bernadette l'avait bien découvert. Et c'est ça le message de Marie.

     

    Ce qui différencie Bernadette des voyants de La Salette

     

    La Salette

    PAROLES DE LA VIERGE MARIE ...Si mon peuple ne veut pas se soumettre, Je suis forcée de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si lourde et si pesante, que je ne puis plus la retenir. Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, Je suis chargée de le prier sans cesse. Et pour vous autres, vous n'en faites pas cas... "Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l'accorder." Ceux qui conduisent les charrettes, ne savent pas parler sans y mettre le Nom de mon Fils au milieu. Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils. Si la récolte se gâte, ce n'est qu'à cause de vous autres. Ah ! mes enfants, il faut bien faire votre prière soir et matin...

     Maximin - Pendant l’Apparition, il s’amusait avec son bâton à faire tourner son chapeau ou à pousser des cailloux vers les pieds de la Belle Dame : tel il est resté toute sa vie. Il répond aux enquêteurs avec simplicité mais du tac au tac. Cordial, dès qu’il se sent vraiment aimé. Malicieux, quand on veut le "récupérer". Volontiers espiègle, et même avec le Curé d’Ars, semble-t-il. Imprévoyant en affaires..., comme il l’était quand il partageait avec son chien, dès le matin, le casse-croûte de la journée. Un cœur d’or, toujours candide, dans une vie trimbalée : de l’école de Corps au séminaire du Rondeau, d’un presbytère de campagne à la Grande Chartreuse, du séminaire d’Aire-sur-Adour à l’hospice du Vésinet (Yvelines) ou au collège de Tonnerre (Yonne) où il est "employé". Chez les époux Jourdain, près de Versailles, il est pris en affection : il est question de lui faire entreprendre des études de médecine. En fait, il s’engage comme zouave pontifical, mais six mois après, il revient à Paris. Il publie alors "Ma profession de foi sur l’Apparition de Notre Dame de La Salette" en réponse à un article agressif de "La Vie Parisienne". Victime d’un associé, marchand de liqueurs, le voici encore sans ressources. Il demeure alors à Corps, qu’il aurait mieux fait de ne jamais quitter. Asthmatique et cardiaque, il monte une dernière fois au pèlerinage et fait sur les lieux le récit de l’Apparition. Le 1er mars 1875, il meurt à Corps, après avoir reçu la Communion et bu un peu d’eau de La Salette. Pauvre et généreux, il avait écrit un testament : pour redire son témoignage sur l’Apparition, et léguer son cœur au Sanctuaire de La Salette.

     

    1. Le désarroi à la grotte : la Dame n’est pas au rendez-vous.

    Bernadette revient le lendemain, le lundi 22 février. Les gens affluent, plusieurs centaines, et la fille est forte de l’invitation de la Dame. Or voici que rien ne se passe. On attend. Rien. Bonne occasion pour les autorités de reprendre les choses en main et pour tous ceux qui riaient de la comédie d’une jeune fille qui fait courir les crédules et les bien-pensants friands de merveilleux. M. Dufo, l’avocat, Pougat, le président du tribunal, et d’autres notables, des médecins, des commerçants, des gens qui avaient fait des études, et tous les anticléricaux n’attendaient que cette occasion pour se moquer. Le clergé était partagé; le curé du lieu, un homme rude, mais bon et zélé et intelligent résolut d’attendre que les événements se précisent.

    Bernadette est désemparée.

    Déjà la veille après les vêpres, un sergent de la ville, officier de police vêtu des insignes de la force publique, s’était approché d’elle et l’avait touchée sur l’épaule.

    - Au nom de la loi, dit-il.

    - Que me voulez-vous ? dit l’enfant.

    - J’ai ordre de vous prendre et de vous emmener.

    - Et où ?

    - Chez le commissaire de police. Suivez-moi.

    Et Bernadette se trouvait ce soir-là face à M. Jacomet, le commissaire de police, pour la première, mais pas la dernière fois. Les autorités furent lents à la détente. On connaît le dialogue grâce à M. Estrade, l’inspecteur des impôts, qui voulait assister à l’interrogatoire :

    Jacomet : Il paraît que tu vois une belle Dame à la grotte de Massabielle, ma bonne petite. Raconte-moi tout.

    Bernadette avec son regard innocent raconte et répond aux questions.

    Jacomet : Tu mens, s’écria-t-il soudain.

    On peut imaginer la frayeur de la petite fille. Elle répond cependant avec calme :

    - Monsieur, vous pouvez me faire prendre par les gendarmes, mais je ne peux dire que ce que j’ai dit. C’est la vérité.

    - C’est ce que nous allons voir, répondit le commissaire.

    1. Estrade qui était témoin de la scène était partagé entre l’étonnement prodigieux que lui inspirait l’accent de conviction de Bernadette et l’admiration pour la stratégie habile de Jacomet. Ce dernier cherchait à faire entrer la fille en contradiction avec elle-même. Rien n’y fait. Alors il rédigea le procès-verbal et le lut à la fille. A chaque légère altération du texte Bernadette répondait humblement :

    - Non, je n’ai pas dit cela, mais ceci.

    Le commissaire voyant qu’il n’arrivait à aucun résultat reprit le ton de la menace :

    - Si tu continues d’aller à la Grotte, je te fais mettre en prison, et tu ne sortiras d’ici qu’en t’engageant à ne plus y retourner.

    - J’ai promis à la vision d’y aller, dit l’enfant. Et puis quand le moment arrive je suis poussé par quelque chose qui vient en moi et qui m’appelle.

    Le commissaire lance des menaces au père de l’enfant.

    Le lendemain c’est la consternation chez Bernadette et la foule qui s’était assemblée, mais la fille resta sûre de ce qu’elle disait, le doute ne l’effleurait pas, mais en rentrant en ville elle versait des larmes.

    Nouvelle comparution devant le commissaire en présence des parents.

    Les apparitions reprennent à partir de mardi. Nouvelle épreuve le vendredi suivant : la Dame n’est pas au rendez-vous.

    Elle se montre les jours suivants, du 27 février au 5 mars. Ce dernier jour-là ce sera la 15e apparition. Elle apparaîtra encore trois fois à des intervalles importants : le 25 mars, le 4 avril et le 16 juillet. Des foules de plus en plus nombreuses se pressent à Lourdes.

     

    1. Pourquoi ces absences ?

    Bernadette se pose elle-même la question dès la première absence : « Je ne sais pas en quoi j’ai manqué à cette Dame ». « Qu’est-ce que je lui ai fait ? Est-elle fâchée ?... »

    Pourquoi cette épreuve ?

    Je pense que ma question porte en elle-même sa réponse, il s’agit bien d’une épreuve. Une épreuve nécessaire dans toute vie de prière, répond François Vayne, qui est responsable de la librairie de Lourdes et de la revue Lourdes-Magazine et qui a écrit un très beau petit livre Prier 15 jours avec Bernadette. Le Seigneur ne paraît pas toujours quand on l’attend. Il faut apprendre, dit : la petite Thérèse de Lisieux, que le Seigneur est plus près de nous quand nous nous croyons abandonnés. « Les jours vides, dit encore Vayne, sont l’occasion pour nous de manifester notre fidélité. Le Christ lui aussi a vécu ce sentiment d’angoisse : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » ? Cette parole du Christ n’est en fait que la reprise d’un verset du psaume 27, et qui n’est rien d’autre qu’un cri qui traverse toute l’histoire d’Israël et plus encore toute l’histoire de l’humanité.

    [Le samedi 10 avril j’ai noté dans mon Journal : Ce matin, tandis que je prépare cette causerie  je lis au bréviaire un extrait de la Première lettre de saint Pierre et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Bernadette. Ces versets de l’apôtre Pierre correspondent exactement à ce que j’essaie de dire sur l’épreuve qu’a connue la fille avec les tracasseries des autorités et aussi la non-apparition le lundi et vendredi. Voici le texte : « Mes bien-aimés, ne vous laissez pas dérouter ; vous êtes mis à l’épreuve par les événements qui ont éclaté chez vous comme un incendie ; ce n’est pas quelque chose de déroutant qui vous arrive. Mais puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand  sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte à cause du nom du Christ, heureux êtes-vous, puisque l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu repose en vous… Si l’on fait souffrir l’un de vous… en tant que chrétien qu’il n’ait pas de honte et rende gloire à Dieu à cause de ce nom de chrétien. Car voici le temps du jugement, il va commencer par la famille de Dieu… » (I Pierre 4, 12et suivants)]

     

     

    5 les secrets entre Marie et Bernadette.

     

    Je cite le témoignage de la fille sur la quinzaine des apparitions :

     

    J’y revins pendant quinze jours. La vision parut tous les jours, à l’exception d’un lundi et d’un vendredi. Elle me répéta plusieurs fois que je devais dire aux prêtres qu’il devait s’y faire une chapelle et d’aller à la fontaine pour me laver et que je devais prier pour les pécheurs. Dans l’espace de ces quinze jours elle me donna trois secrets qu’elle me défendit de dire à personne. J’ai été fidèle jusqu’à présent. »

     

    De quoi s’agit-il dans ces secrets ?

    Evidemment je n’en sais rien, personne n’en sait rien, puisqu’elle a tenu parole et qu’elle n’en a rien laissé paraître. Mais ce qu’Henri Lasserre a perçu me semble si juste que je ne résiste pas à vous en lire l’essentiel :

    Il nous est permis de remarquer la profonde et délicate connaissance du cœur humain et la maternelle sagesse, qui déterminèrent sans doute l'auguste Interlocutrice de Bernadette à faire précéder de quelques paroles, entièrement secrètes, la mission publique dont elle l'investissait. Favorisée aux yeux de tous de visions merveilleuses, chargée envers les prêtres du vrai Dieu d'un message d'outre-monde, cette âme d'enfant, jusque-là si paisible et si solitaire, se trouvait transportée tout à coup au centre des foules innombrables et des agitations infinies. Elle allait être en butte aux contradictions des uns, aux menaces des autres, aux railleries de plusieurs, et, ce qui était bien plus dangereux pour elle, à l'enthousiaste vénération d'un grand nombre. Les jours approchaient où des multitudes l'acclameraient et se disputeraient comme des reliques saintes les lambeaux de ses vêtements ; où des personnages éminents et illustres se prosterneraient devant elle et lui demanderaient de les bénir, où un Temple magnifique s'élèverait et où des peuples entiers s'ébranleraient en pèlerinages et en processions incessantes sur la foi de sa parole. Et c'est ainsi que cette pauvre fille du peuple était sur le point de traverser l'épreuve la plus terrible qui pût assaillir son humilité, épreuve où elle pouvait perdre à jamais sa simplicité et sa candeur, toutes ces vertus modestes et douces qui avaient germé et fleuri au sein de la solitude. Les grâces mêmes qu'elle recevait devenaient ainsi pour elle un péril redoutable, un péril auquel plus d'une fois ont succombé des âmes d'élites, honorées des faveurs du Ciel (notre auteur pense certainement aux voyants récents de La Salette). Saint Paul lui-même, après ses visions, était tenté d'orgueil et avait besoin que le mauvais ange de la chair le souffletât pour l'empêcher de s'exalter en son cœur.

    La sainte Vierge voulait garantir cependant cette petite fille qu’elle aimait, sans permettre au Mauvais Ange d'approcher de ce lys de pureté et d'innocence, éclos aux rayons de sa grâce. Or, que fait la Mère quand un danger menace son enfant? Elle le serre davantage et plus tendrement sur son sein et elle lui dit tout bas, dans le mystère d'une parole doucement murmurée en son oreille : « Ne crains rien, je suis là. » Et, si elle est obligée de le quitter un instant et de le laisser seul, elle ajoute : « Je ne m'éloigne point, je suis à deux pas de toi, ici même, et tu n'as qu'à étendre la main pour prendre la mienne. » Ainsi fit, pour Bernadette, la Mère de nous tous. Au moment où le monde et ses tentations diverses, Satan et ses pièges subtils pouvaient s'efforcer de la lui arracher, Elle voulut la faire entrer plus profondément dans son intimité; Elle l'entoura de ses bras et la serra plus fortement sur son cœur. Dire, - Elle, la Reine du Ciel ! - un secret à l'enfant de la terre, c'était faire tout cela : c'était élever Bernadette jusqu'à la portée de ses lèvres parlant à voix basse; c'était fonder dans le souvenir de la petite fille un lieu de refuge inaccessible, on lieu de paix et d'intimité, que nul ne viendrait jamais troubler.

    Un secret, confié et entendu, crée entre deux âmes le plus étroit des liens. Dire un secret, c'est donner un gage assuré d'affectueux abandon et de fidélité; c'est établir un sanctuaire fermé et comme un rendez-vous sacré entre deux cœurs. Quand quelqu'un, et surtout quelqu'un d'infiniment au-dessus de nous, nous a révélé son secret, nous ne pouvons plus douter de lui. Son amitié, par cette intime confidence, a pris en quelque sorte domicile en nous-mêmes, et il se rend par là l'hôte constant, j'allais dire, avec plus de netteté, l'habitant de notre âme. Penser à ce secret, c'est en quelque sorte serrer mystérieusement sa main et le sentir présent.

    Et c'est ainsi qu'un secret confié par la Vierge à Bernadette devenait pour cette dernière la plus sûre des sauvegardes. Ce n'est point la théologie qui nous l'enseigne: c'est l'étude même du cœur humain qui le rend évident.

     

     

    1. Encore sur la vocation de Bernadette et la nôtre.

    Les apparitions ont joué un rôle déterminant dans la vocation de Bernadette. Elle n’a pas vu clair d’emblée, de façon brutale comme l’apôtre Paul. Ce dernier nous raconte dans la lettre aux Galates :

    « Vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme, avec quelle frénésie je persécutais l’Eglise de Dieu et je cherchais à la détruire ; je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. Mais lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti » Gal. 1,13-17)

    Jérémie pareillement fait remonter le moment de sa vocation avant sa conception et sa naissance (Jr. 1,4-5).

    Jésus perçoit la voix du Père après son baptême dans le Jourdain : Jésus prie ; alors le ciel s’ouvre ; l’esprit saint descend sur lui sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vient du ciel :’’Tu es mon fils aujourd’hui je t’ai engendré’’ ». Il sent qu’il a une mission à accomplir et que c’est le moment de s’y lancer – il avait environ trente ans. Les disciples sont arrachés assez brutalement à la vie qu’’ils menaient avant l’appel du Christ – les uns étaient pêcheurs, Matthieu était à son bureau de douane…

    Et nous ?

    Nous ne sommes pas nécessairement appelés à être des apôtres, mais à faire de notre vie un chemin vers quelque part… vers Dieu. Nous sommes tous des pèlerins, en route vers… L’aventure humaine consiste à sortir et à quitter pour… un pays que la vie nous dévoile peu à peu  et qui fait que notre vie est une, bien que nous n’en percevions la plupart du temps que des bribes - et unique – personne ne peut faire à ma place. Et cette tâche n’est pas impossible. Nous pouvons l’accomplir. We can. Barack Obama nous l’a dit le 8 janvier dans un discours de campagne présidentielle, et ce mot a parcouru le monde comme une traînée de poudre comme un autre de son frère de race cinquante ans plus tôt, Martin Luther King :

     « Lorsque nous avons surmonté des épreuves apparemment insurmontables ; lorsqu’on nous a dit que nous n’étions pas prêts, ou qu’il ne fallait pas essayer, ou que nous ne pouvions pas, des générations d’Américains ont répondu par un simple credo qui résume l’esprit d’un peuple. « Oui, nous pouvons.

    « Ce credo était inscrit dans les documents fondateurs qui déclaraient la destinée d’un pays. « Oui, nous pouvons.

    « Il a été murmuré par les esclaves et les abolitionnistes ouvrant une voie de lumière vers la liberté dans la plus ténébreuse des nuits. « Oui, nous pouvons.

    « Il a été chanté par les immigrants qui quittaient de lointains rivages et par les pionniers qui progressaient vers l’ouest en dépit d’une nature impitoyable. « Oui, nous pouvons. »

    « Ce fut l’appel des ouvriers qui se syndiquaient ; des femmes qui luttaient pour le droit de vote ; d’un président qui fit de la Lune notre nouvelle frontière ; et d’un King [NDLR : en anglais, un roi, mais ici il s’agit de Martin Luther King] qui nous a conduits au sommet de la montagne et nous a montré le chemin de la Terre promise. « Oui, nous pouvons la justice et l’égalité. Oui, nous pouvons les chances et la prospérité. Oui, nous pouvons guérir cette nation. Oui, nous pouvons réparer ce monde. « Oui, nous pouvons. »

     

     

     


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    du 9 au 14 novembre 2014

    Mon premier pèlerinage à Rome remonte à 1957, il y a exactement 57 ans, avec le Mouvement des Jeunes Séminaristes (MJS). Je me souviens de Pie XII qui nous a reçus à Castel Gondolfo, de la messe à Saint-Paul-hors-les-Murs, de la visite à Saint-Pierre, de la prière sur la tombe du prince des apôtres, de l’escalade au sommet du dôme, de Saint-Pierre-aux-Liens avec le coffret de la double chaîne qui tenait l’apôtre enfermé dans les prisons de Jérusalem et Rome, du fameux Moïse de Michel-Ange, du Forum… L’émotion était si forte que je n’ai jamais éprouvé dans la suite le besoin de retourner à Rome, malgré plusieurs propositions au cours de ma vie. Jusqu’en juillet de cette année où Antoinette H., mon aide au prêtre, qui m’accompagne depuis plus de trente ans, me lança ces mots forts : « Il faut que j’aille à Rome voir le pape François et prier sur les tombes de Pierre, Jean XXIII et Jean-Paul II. » C’était comme un cri dans la maladie qui a repris de plus belle après deux ans de rémission. Je ne pouvais pas refuser l’appel. C’est ainsi que je fis un deuxième pèlerinage à Rome. Le dernier, probablement, avant que s’achève l’unique, le grand, le vrai pèlerinage, celui de notre existence, dont tous les autres ne sont qu’un signe. Ne sommes-nous pas tous pèlerins sur terre, des passants, des hôtes de passage, comme disait André Malraux ?

    Dimanche 9 novembre.

    Arrivée à Rome vers 10 h du matin. Nous prenons le bus en direction du couvent des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui nous accueillent, pas très loin de la gare. Une immense église se présente à nous et l’occasion de participer à la messe de midi qui venait de commencer. Surprise : nous sommes à Sainte Marie Majeure, l’une des quatre basiliques majeures de la Ville où j’espérais précisément me rendre au cours de notre pèlerinage. Nous y étions. Joie, prière, beauté. Comment ne pas être ému ? Je devine, depuis le fond de l’édifice où nous avons pris place, le Couronnement de la Vierge Marie dans l’éclat d’or du ciel. Il faudrait des heures pour décrypter toutes les mosaïques qui courent le long de la nef, mais ce ne sont pas les œuvres d’art qui m’importent en cet instant ; il me suffit de me sentir au cœur de la chrétienté.

    Nous nous installons chez les Sœurs. Petit repos. Puis en route vers les catacombes, en passant par Saint-Jean-de-Latran. Nous nous arrêtons longuement devant la façade de la basilique, le temps de prendre conscience de la majesté du lieu et que nous sommes devant l’église mère de toutes les églises de Rome et du monde. Sa façade de calcaire blanc, paraît traversée par le soleil d’après-midi et les statues immenses du Christ et de saint Jean-Baptiste, de quelques papes de la Renaissance, veillent sur la ville du haut de la balustrade. Une grande paix m’inonde, alors que le bus nous mène vers la voie Appienne et la catacombe de          Saint-Calixte. Voici, après l’Eglise triomphante, riche, dominatrice, celle qui menait le monde et attirait par là même la convoitise des puissants de la terre, qui fut pillée à deux reprises : en 1084, par Robert Guiscard qui monta sur Rome avec ses Normands, puis défit les troupes du Saint-Empire, délivra le pape des griffes germaniques, s’empara de la Ville  et la pilla de fond en comble. Puis par les Allemands, sous Charles-Quint : ils ravagèrent la cité des papes où était amassé, disait-on, le tiers des richesses et des beautés du monde. Avec les catacombes nous entrons dans l’autre Eglise, la souterraine, la persécutée, celle du peuple chrétien, des grandes familles et des petites gens qui se réfugiaient pour échapper à la mort dans les galeries souterraines où ils enterraient leurs morts. Emotion. Nous passons dans le dédale des tranchées, près de la tombe de sainte Cécile, celles de plusieurs papes et d’innombrables inconnus, nous lisons aussi les symboles d’une foi encore toute jeune, qui cherche à s’exprimer : l’ancre, signe de l’espérance, le chiro : une autre manière d’appeler le Christ (chi et ro étant les deux premières lettres de Christ, en grec), le bon pasteur, le poisson qui évoque en quelques mots l’essentiel de la foi chrétienne (en grec le poisson se nomme “ichthus” dont les lettres rappellent Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur), la colombe, symbole de la paix, le phénix qui renaît des cendres, symbole de la résurrection, l’alpha et l’oméga : le Christ, commencement et fin de tout. La nuit tombait quand nous sommes sortis de dessous la terre.

    Retour au gîte : sur une terrasse nous attendons une pizza. Journée bien remplie. Nous sommes heureux et fatigués. “Quelle chance, dit Antoinette, il fait si bon.”

     

    Lundi 10 novembre.

    La nuit fut bonne pour tous deux. 8h, petit déjeuner et prière à la chapelle du couvent. Puis le bus 64 nous emmène à travers le cœur de la ville vers Saint-Pierre. C’est Pierre qui nous attire et qui et au cœur de notre pèlerinage. Tu es Petrus… Lui, Pierre, le roc sur lequel Jésus a choisi de fonder son Eglise et à qui il a confié les clés du Royaume.

    Nous descendons un peu avant le terminus : le temps de nous promener le long du Tibre. Nous longeons le Château Saint-Ange et entrons dans la rue de la Réconciliation. Devant nous émerge le dôme de Saint-Pierre et la colonnade du Bernin. Lente approche de la basilique que je vis comme une marche vers Jérusalem. Nous récitons le chapelet, prions quelques psaumes de montée et chantons : « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du Seigneur… »

    Ça y est, on monte les marches, on entre dans Saint-Pierre. Majesté du moment. Emotion. L’intérieur de la basilique s’ouvre à nous comme s’ouvre le ciel. On regarde en silence, on s’arrête, on savoure chaque instant. Une douce musique vient du dedans. A droite, la pietà de Michel-Ange. On s’assoit sur un banc tout en haut de la nef pour prendre un peu de repos. Antoinette observe ce qui se passe à travers la foule dense qui défile devant nous, tandis que je médite en moi-même; elle me fait signe: « Regarde, c’est Jean XXIII», dit-elle, toute émue. » D’un bon nous nous levons et nous approchons de l’autel ; nous sommes à deux du Saint. C’est bien lui, Jean XXIII ; il est là devant nous dans une châsse, tel que nous l’avons connu, dans sa rondeur habituelle. Long silence. Des images défilent dans la tête ; je revois le hall d’entrée du grand séminaire, côté philosophie, fin octobre 1958, le soir, il faisait déjà nuit, quand un de nos professeurs vint à nous en hâte : « Ça y est, fit-il, nous avons un pape, Roncalli, pauvre Eglise ! Personne ne réalisa immédiatement quelle grâce fut le choix des cardinaux. L’Eglise allait retrouver une nouvelle jeunesse. Nous découvrîmes rapidement un homme simple, bon, proche du peuple, il était lui-même d’une manière qui n’appartenait qu’à lui et il rendit la papauté moins distante et plus présente à chacun des hommes, et par là l’Eglise retrouvait un nouveau visage. Elle s’ouvrait à tous : le vent pouvait y souffler librement. « Je suis Joseph votre frère », aimait-il dire à ceux qui ne se trouvaient pas à l’aise dans le bercail. Le Joseph de la Bible, mais aussi celui de Sotto il Monte, son village où il était né, où il avait grandi, qui sera toujours son village. D’une famille qui travaillait la terre, pauvre et laborieuse. « Je viens de l’humilité », aimait-il dire - humble, c’est-à-dire terreux, de la terre, paysan de la campagne de Bergame. Il allait lancer l’Eglise dans l’aventure du Concile Vatican II. Dès ses premières apparitions, il se montra tel qu’il allait être : bon. Le bon pape Jean. Quand au conclave qui allait l’élire le nom du petit Angelo de Sotto-il-Monte sortit et que le cardinal doyen lui demanda : « Acceptes-tu ? » - « Je suis devenu tout craintif. Ce que je sais de ma pauvreté et de ma faiblesse suffit à ma confusion. Mais je vois dans le vote de mes frères les cardinaux le signe de la volonté de Dieu. J’accepte. » Monseigneur Capovilla, son secrétaire à Venise, note dans son Journal ce 28 octobre 1959 : « La première impression que j’eus fut de sérénité, de confiant abandon à la Providence… Sur son visage planait l’habituel sourire. Puis, suivant humblement la croix portée devant lui, il accomplissait le premier geste de son pontificat : il bénissait… Il bénissait avec naturel, échangeant quelques mots avec ses voisins, jusqu’à la loggia d’où il devait se montrer au peuple. ». Le spectacle de la foule immense et du Saint-Père apparaissant au milieu des acclamations, tout le monde l’a vu à la télévision, au cinéma ou sur les journaux. Les bras ouverts de Jean XXIII semblaient vraiment vouloir serrer le monde entier. Et c’est bien cela qu’il voulait. Il resta tout simple, fidèle à lui-même. Le rêve d’Antoinette se réalise : c’était le premier acte. Les autres allaient suivre. Elle eut le temps de prier devant le Saint, comme elle le voulait.

    Deuxième acte : la pierre tombale de saint Jean-Paul II se trouve dans la nef ; nous la cherchons. Un des nombreux gardiens de la basilique nous renseigne : elle n’est pas loin, un peu en arrière : il nous montre du doigt : « Là-bas, où des gens s’attroupent », ajoute-t-il. Temps de prière. Là aussi que d’images surgissent de la mémoire ! Karol Wojtyla, la Pologne, les grèves de Gdansk , Solidarnosc, la chute du mur de Berlin, l’attentat de la place Saint-Pierre et les souffrances qui s’ensuivirent, les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ), sa connivence avec les jeunes, Assise et la prière commune avec les représentants de toutes les religions de la terre, dans l’esprit de François, le poverello d’Assise, les nombreux déplacements sur les cinq continents... Lui aussi laissa sa marque propre dès son avènement. Lorsqu’il apparut sur les marches dans la loggia et que ses premières paroles « N’ayez pas peur ! » résonnèrent sur la place tout le monde comprit qu’avec lui nous tenions du solide et aussi qu’avec un Slave qui venait de derrière le rideau de fer quelque chose allait bouger. Force et faiblesse. « C’est quand je suis faible que je suis fort », écrivait saint Paul aux Corinthiens (2 Cor. 12, 10). Je ne peux m’empêcher de citer ici un extrait de la dernière page du Dialogue avec Jean-Paul II qu’André Frossard livra au public deux ans après l’attentat du 13 mai 1981 : « Je deviens ce que je suis », répondait Démocrite à ceux qui lui demandaient de ses nouvelles. La souffrance a confirmé Jean-Paul II dans sa foi, en le faisant pour un temps le compagnon de ces malades auxquels il lui arrive de murmurer qu'il leur confie l'Eglise, et qui sont peut-être seuls en effet à pouvoir l'aider. Par l'épreuve, il est devenu ce qu'il était… » Epreuve qu’il a porté jusqu’à la limite extrême de la vie. Nous nous arrêtons en silence, au point de ne rien entendre du brouhaha de la foule qui défile…

    Puis nous nous rendons à la crypte, en saluant au passage le baldaquin du Bernin avec les colonnes torses en bronze, la Chaire de saint Pierre, nous marchons sous le dôme que j’avais escaladé autrefois. Mais tout cela m’importe peu aujourd’hui. Nous sommes à la recherche de la tombe de Pierre. La voici… Nous nous arrêtons le temps qu’il faut pour prendre la mesure des choses. Je me souviens des fouilles des années cinquante et de l’archéologue Carcopino. Ces fouilles ont été gardées secrètes pendant dix ans, même pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles ont mis en évidence au-dessous de l'autel de la basilique, une tombe vide du Ier siècle. Sur l'un des murs, les archéologues ont trouvé une inscription en grec: « Pierre est ici ». Pie XII annonça la nouvelle à la radio pendant l'Année Sainte de 1950 : « Il a été trouvé le tombeau du Prince des Apôtres ». Paul VI redit en 1968 qu’on peut être à peu près sûr qu’il s’agit des restes de saint Pierre. Antoinette regarde le coffret des reliques et confie son avenir au pauvre pêcheur de Galilée. Je suis à ses côtés : troisième surprise. La quatrième sera pour demain : la rencontre de notre pape François à l’audience de 10h30. Nous traversons les allées de la nécropole des papes et remarquons les tombes de Paul VI, de Pie XII, de Jean-Paul Ier, de saint Léon le Grand que j’aime tant, des Alexandre, des Benoît et de tant d’autres. Sans compter François, le 265e de la liste, qui donne vie à ces bâtiments.

    Je n’ai pu m’empêcher de revenir sur mes pas et m’arrêter plus longuement devant“ les restes et la semence” de Paul VI. Paul VI, un pape humble qui note dans son Journal personnel : « Peut-être n’est-ce pas tant en raison d’une aptitude quelconque ou afin que je gouverne et que je sauve l’Église de ses difficultés actuelles, que le Seigneur m’a appelé et me garde à ce service, mais pour que je souffre pour l’Église, et qu’il soit clair que c’est Lui, et non un autre, qui la guide et qui la sauve. » Un pape courageux qui a mené à son terme ce que Jean XXIII avait commencé - il est le grand timonier du concile, selon le mot de notre pape François - bien qu’il eût compris très rapidement que le concile qui avait suscité tant d’espérance était devenu une pierre d’achoppement pour beaucoup. Il a vu avec tristesse une frange importante de l’Eglise suivre Monseigneur Lefèvre et rompre avec Rome; il a vu aussi nombre de prêtres et de religieuses quitter la barque Eglise : les tourments du temps se lisaient sur son visage, sans qu’il ne perdît jamais la joie et la confiance dans le Seigneur. Si l’encyclique Humanae Vitae a suscité des montagnes de critiques, je n’oublierai jamais que Populorum progrescependantsio et Evangelii nunciandi ont renouvelé l’élan missionnaire de l’Eglise : j’en ai été témoin en Haïti comme prêtre “fidei donum”. On se souvient de son pèlerinage en Terre Sainte : l’image de l’accolade avec le patriarche a fait le tour du monde (janvier 1964). La même année il s’est rendu en Inde (décembre 1964), en octobre 1965, avant la clôture du concile (8 décembre), à l’ONU, où les mots forts : “Plus jamais la guerre” ont retenti urbi et orbi. Il a posé des gestes forts, comme la vente de sa tiare au profit des pauvres ; avec l’institution du Synode, il a pareillement lancé l’église sur le chemin du dialogue et de la collégialité, qu’on a vu encore réuni cet automne pour travailler sur la question de la famille. Et comment pourrais-je ne pas me souvenir qu’il fut un authentique mystique, l’ami de Maurice Zundel qui fut de loin pas compris par tout le monde, un prêtre paradoxal, comme le remarquait le Père Carré, de l’Académie Française : Paul VI non seulement le cita dans son encyclique Populorum progressio, mais il l’invita à prêcher les Exercices spirituels du Vatican en février 1972.

    En sortant de la basilique, nous nous dirigeons vers le Tibre et traversons le pont des Anges, le domaine des mouettes, La place Navone est toute proche. Détente sur un banc. Un petit orchestre joue près de nous ; il nous enchante. Une église nous surprend, cachée jusque là par le dédale des ruelles, avec une coupole impressionnante : Saint-André-de-la-Vallée. Nous entrons et regardons un peu. Il faudrait des heures pour déchiffrer les peintures qui nous éclaboussent de partout de leur éclat, surtout celles de la coupole qui représentent la gloire du ciel telle que la voyait Giovanni Lafranco et celles des pendentifs où l’on devine les Evangélistes. Le beau ne nous éloigne pas de l’essentiel, il est un chemin vers Dieu, comme des éclats de la gloire divine que le peintre laisse échapper de ses doigts. « La ténèbre, dit un chant de Taizé, n'est point ténèbre devant toi ; la nuit comme le jour est lumière. »

    Sur le chemin du retour à la pension nous prenons un petit repas, des lasagnes, sur une terrasse, dans la douceur romaine du mois de novembre.

     

     

     

    Mardi 11 novembre

    Journée touristique, nous l’avons décidé ainsi, en attendant l’audience papale du lendemain. Après la messe à la pension avec les religieuses, le petit déjeuner avec quelques autres hôtes de passage, comme nous, puis l’envoi de quelques cartes, nous rejoignons un bus panoramique au Colisée. Le Colisée relativement bien conservé laisse paraître quelque chose de la splendeur antique. Les  touristes s’y promènent en foule. Que cherchent-ils ? Moi je ne peux pas ne pas voir les chrétiens qui furent massacrés, en cet endroit, dans les jeux de l’amphithéâtre et livrés aux bêtes. Me vinrent à l’esprit les mots de l’Apocalypse : « Et je vis des trônes; et à ceux qui s'y assirent fut donné le pouvoir de juger. Et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et de ceux qui n'avaient pas adoré la bête ni son image, et qui n'avaient pas reçu la marque sur leur front et sur leur main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ... » (20, 4).

    Le bus s’arrête au cirque Maxime réservé aux courses de char. Vue sur le Palatin, le berceau des jumeaux fondateurs de la Ville, Romulus et Remus, qui furent recueillis et nourris par la Louve. Là se trouve la demeure d’Auguste. Puis apparaissent les vestiges du Forum romain. Mais, chante du Bellay : Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux que des palais romains le front audacieux… et plus mon petit Liré que le mont Palatin. » Vient le Capitole. Je ne vois pas la statue de Marc-Aurèle, que je sais être là-haut sur la colline, mais j’entends les oies qui par leurs cris sauvèrent Rome en 390 av. J.C. : « Les Gaulois commencèrent à escalader le Capitole, écrit Tite-Live, mais les oies de Junon entendirent les ennemis et elles avertirent Manlius, le célèbre consul, du danger. Il appela tous les citoyens aux armes», et Rome fut sauvée.

    Nous quittons le bus place de Venise et cherchons la fontaine de Trévi : pas d’eau, elle est en restauration. Place d’Espagne : arrêt sur les escaliers de la Trinité-des-Monts avec les touristes. Le Gesù est fermé. Nous nous égarons un peu dans les ruelles du Quirinal à la recherche de l’église Saint André. Elle est fermée. Nous découvrons que toutes les églises de la Ville sont fermées entre midi et seize heures. Sieste oblige ! Nous y reviendrons. Fourbus et las de la marche, mais heureux, nous rentrons au couvent. Un verre de vin des Abruzzes et une pizza aux anchois nous remettent debout.

     

     

    mercredi 12 novembre

     

    Voici le jour tant attendu de l’audience du pape. Pluie sur le chemin de Saint-Pierre. Elle s’arrête dès notre arrivée sur la place, vers 9h30. Une place grouillante de monde. Une foule que nul ne peut dénombrer. Des images du pape apparaissent sur deux écrans géant. A intervalles réguliers une chorale de jeunes chante des chants rythmés et joyeux, accompagnée de guitare et de tambour. Des Latino-Américains probablement. Tous sont en attente ; on regarde de tous côtés ; certains cherchent à passer les barrières : des gardiens veillent au bon ordre Enfin paraît le pape; il passe en papamobile parmi les allées ménagées entre les pèlerins qui l’acclament; je l’aperçois à peine, tant les gens se pressent et grimpent sur les chaises. « L’essentiel, remarque Antoinette, est d’être là et que lui, François, soit là. » On l’entrevoit suffisamment dans sa soutane blanche, aussi bien que Zachée sur son sycomore apercevait Jésus traversant Jéricho. De partout les bras se lèvent pour prendre des photos. Le portable d’Antoinette est insuffisant pour que paraisse son visage de François. Il faudrait un zoom. Mais peu importe, les photos n’ajouteraient rien à l’émotion qui nous étreint et que nous partageons avec tous ceux qui nous entourent. On peut à peine rendre cet enthousiasme. C’était un peu le ciel sur terre. Puis vient le silence quand le pape prend la parole.

    A 10h30.

    Il s’emploie à définir les qualités que devraient avoir les évêques, les prêtres, les diacres, dans leur mission - je ne comprends que des bribes d’italien - les invitant ou plutôt nous invitant à être « accueillants, sobres, patients, fiables, bons ». Il voit en ces qualités « typiquement humaines » « une grammaire de base » pour l’exercice du ministère pastoral. Un enseignement qui s’inscrit dans le cycle de catéchèses consacrées à l’Eglise. Un enseignement clair, comme lors de récentes homélies du matin, en la chapelle de la Maison Sainte-Marthe : « Il faut à tout prix éviter des comportements d’orgueil. » Ce que j’entends me va droit au cœur.

    « Elles sont nécessaires, ces qualités, ajoute le pape ; sans elles il est impossible d’offrir un service et un témoignage joyeux et crédible ». Et de rappeler notamment aux évêques qu’ils ne le sont pas « parce qu’ils seraient plus intelligents et plus capables mais seulement par le don d’amour de Dieu pour le bien de son peuple ». « Il faut avoir conscience que tout ce qui est autour est grâce », ajoute-t-il encore, mettant en garde contre « la tentation de ne compter que sur ses propres forces ». « Comme il serait dangereux qu’un prêtre ou un évêque puisse penser tout savoir. Alors qu’au contraire, il doit tendre à l’humilité et à la compréhension envers les autres. Etre à l’écoute des gens : conscient d’avoir toujours quelque chose à apprendre, même de ceux qui sont encore éloignés de la foi et de l’Eglise ».

    J’aurai tout le loisir de lire plus tard le texte même de l’allocution. Ces quelques mots suffisent pour sentir le style si particulier de notre pape François. Au terme de l’audience générale de ce mercredi matin, il aborde une fois encore la question des chrétiens persécutés dans le monde en raison de leur foi. « Je suis avec un grand effroi, déclara-t-il, les situations dramatiques des chrétiens dans différentes parties du monde où ils sont persécutés et tués en raison de leur foi religieuse… Je ressens la nécessité d’exprimer ma profonde proximité spirituelle aux communautés chrétiennes durement frappées par une absurde violence qui ne semble pas vouloir s’arrêter, alors que j’encourage les pasteurs et les fidèles, à être tous forts et ancrés dans l’espérance ». Les chrétiens « ont le droit de retrouver dans leurs propres pays la sécurité et la sérénité, et de professer librement leur foi. » Il appelle encore« à une vaste mobilisation les consciences de tous ceux qui ont des responsabilités au niveau local et international et à toutes les personnes de bonne volonté ». Puis il prie avec les quelques quinze mille fidèles rassemblés devant lui sous un ciel chargé, mais sans pluie, à prier avec lui le Notre-Père…

    Tandis que la foule se disperse et que le pape s’entretient sur les marches de la basilique avec les invités proches de lui, nous avons le temps d’échanger nos impressions et de reprendre quelques uns de ses mots forts. La pluie reprend légèrement ses droits. Au retour près de la pension nous goûtons un plat de cannellonis copieux et bons. Puis repos et courrier.

     

    Vers 16 heures rencontre avec Christophe Kruijen, un jeune confrère du diocèse, qui travaille depuis une douzaine d’années au Service de la Foi, au Vatican. Il nous propose de découvrir le quartier qu’il habite, rue Scrofa, dans le centre historique de la Ville. Mais d’abord le Gesu, l’église des Jésuites, avec les restes d’Ignace de Loyola et le bras de François-Xavier qui a baptisé et béni tant de frères du lointain Orient, l’Inde et le Japon, celui qui fut de la première équipe des Jésuites.

    Il vaut la peine de lire ce qu’en dit Ignace lui-même :

     

    « Au cours de ma convalescence, Dieu entra définitivement dans ma vie. Je partis en pèlerin pour Jérusalem. Au retour, j’entamai des études de théologie en Espagne puis à Paris (Sorbonne). Là ; je rencontrai six étudiants qui devaient devenir mes premiers compagnons jésuites. François-Xavier, Pierre Favre, Jacques Lainez, Simon Rodrigues, Alphponso Salmeron, Nicolas Bobadilla : nous avons tous été compagnons d’études avant de devenir amis dans le Seigneur. A chacun j’ai donné les “exercices spirituels”, une manière de chercher et trouver Dieu en toute chose. Ordonnés prêtres, nous nous sommes rendus à Rome pour nous mettre au service du pape Paul III. Il approuva notre petit groupe en 1540 qui devint la Compagnie de Jésus, ou en abrégé, les Jésuites. Ces mots m’accompagnaient durant toute la visite de l’église. 

     

    A la voûte, la fresque de Baciccia illustre le triomphe du nom de Jésus – Jésus Sauveur des Hommes (JHS). Nous avons fait le tour de l’église et prié. Je me souvenais que c’est ici que vécut Louis de Gonzague. Né près de Mantoue, en 1568, il fit vœu de chasteté à 11 ans, entra chez les Jésuites, et mourut à Rome, à 22 ans, victime de son dévouement aux pestiférés. Sa statue se trouvait au centre du cloître au petit séminaire de Montigny. Il comptait dans notre vie de séminariste et de futur prêtre. Nous nous sommes arrêtés longuement devant la Madone della Strada qui présidait au départ en mission des nouveaux Jésuites.

    Pas loin de là le temple de tous les dieux, le Panthéon. Qui mieux qu’Hadrien lui-même, l’empereur qui le reconstruisit en l’an 80 de notre ère, dans un style tout différent de celui que l’empereur Agrippa avait fait construire un siècle plus tôt et qu’un incendie détruisit. C’est ce nouveau temple que le pape Boniface IV transforma en église, en respectant tout ce qui pouvait l’être. Je n’étais pas convaincu qu’il fallait s’y rendre. J’y suis entré dubitatif - les photos que j’en avais vues me rappelaient les temples païens ; j’en suis sorti ébloui. Grâce à l’enthousiasme avec lequel Christophe en parla; grâce aussi à ce qu’en dit Yourcenar dans ses Mémoires d’Hadrien :

     

    « De plus en plus, toutes les déités réapparaissaient mystérieusement fondues en un Tout, émanations infiniment variées, manifestations égales d'une même face : leurs contradictions n'étaient qu'un mode de leur accord. La construction d'un temple à tous les Dieux, d'un Panthéon, s'était imposée à moi. J'en ai choisi l'emplacement sur les débris d'anciens bains publics offerts au peuple romain par Agrippa, le gendre d'Auguste. Rien ne restait du vieil édifice qu'un portique et que la plaque de marbre d'une dédicace au peuple de Rome : celle-ci fut soigneusement replacée telle quelle au fronton du nouveau temple. Il m'importait peu que mon nom figurât sur ce monument, qui était ma pensée. Il me plaisait au contraire qu'une inscription vieille de plus d'un siècle l’associât au début de l'empire, au règne apaisé d'Auguste. Même là où j'innovais, j'aimais à me sentir avant tout un continuateur…

    La cérémonie dédicatoire eut lieu à l'intérieur du Panthéon. J'avais corrigé moi-même les plans trop timides de l'architecte Apollodore. Utilisant les arts de la Grèce comme une simple ornementation, un luxe ajouté, j'étais remonté pour la structure même de l'édifice aux temps primitifs et fabuleux de Rome, aux temples ronds de l'Étrurie antique. J'avais voulu que ce sanctuaire de Tous les Dieux reproduisît la forme du globe terrestre et de la sphère stellaire, du globe où se renferment les semences du feu éternel, de la sphère creuse qui contient tout. C'était aussi la forme de ces huttes ancestrales où la fumée des plus anciens foyers humains s'échappait par un orifice situé au faîte. La coupole, construite d'une lave dure et légère qui semblait participer encore au mouvement ascendant des flammes, communiquait avec le ciel par un grand trou alternativement noir et bleu. Ce temple ouvert et secret était conçu comme un cadran solaire. Les heures tourneraient en rond sur ces caissons soigneusement polis par des artisans grecs ; le disque du jour y resterait suspendu comme un bouclier d'or; la pluie formerait sur le pavement une flaque pure ; la prière s'échapperait comme une fumée vers ce vide où nous mettons les dieux. Cette fête fut pour moi une de ces heures où tout converge. Debout au fond de ce puits de jour, j'avais à mes côtés le personnel de mon principal, les matériaux dont se composait mon destin déjà plus qu'à demi édifié d'homme mûr. Je reconnaissais l'austère énergie de Marcius Turbo, serviteur fidèle; la dignité grondeuse de Servianus, dont les critiques, chuchotées à voix de plus en plus basse, ne m'atteignaient plus ; l'élégance royale de Lucius Céonius ; et, un peu à l'écart, dans cette claire pénombre qui sied aux apparitions divines, le visage rêveur du jeune Grec en qui j'avais incarné ma Fortune. Ma femme, présente elle aussi, venait de recevoir le titre d'impératrice. »

     

    Christophe nous introduisit ensuite à quelques pas du Panthéon, sur la même place Minerve, dans l’église Sainte-Marie-sur-Minerve, l’église des Dominicains. Comme le nom l’indique, Sainte-Marie a été construite sur les ruines d’un temple païen dédié à Minerve. Trois choses me frappèrent au cours de la visite. D’abord Catherine de Sienne. Elle est là devant nous en ce qui reste d’elle, probablement quelques cendres dans l’urne de marbre sous le maître-autel. Sa vie défile en moi :

     

    Lorsque Catherine naît à Sienne en 1347, la guerre de cent ans vient d'éclater, la peste noire dévaste l'Europe. Depuis quarante ans il n'y a plus de pape à Rome, c'est le temps des papes en Avignon.

    Rien ne préparait Catherine Benincasa, vingt-troisième enfant d'un teinturier de Fontenebranda, à jouer un rôle dans l'histoire. Elle n'a ni culture, ni instruction. Elle n'apprendra à lire, nous disent ses biographes, qu'à l’âge adulte. Et pourtant... Très tôt, Catherine est favorisée de grâces mystiques extraordinaires. Vers l'âge de douze ans, elle fait vœu de virginité. Admise en 1367 parmi les mantellata ou Sœurs de la pénitence du bienheureux Dominique, elle vit recluse dans la maison de ses parents menant une vie de prière et de mortification. Après un certain temps de cette vie « cachée », le Christ lui fait comprendre dans la prière qu'il lui faut sortir et aller vers ses frères. Alors Catherine se met au service de l'Eglise avec une ardeur peu commune. En 1374, elle rencontre le bienheureux Raymond de Capoue, futur Maître Général de l'Ordre. Certes, il deviendra son supérieur et son conseiller théologique, mais c'est surtout Catherine qui forcera Raymond de Capoue à dominer son tempérament pusillanime. En 1374, elle est convoquée à Florence, devant le Chapitre Général de l'Ordre des Prêcheurs, qui doit s'inquiéter de cette sœur quelque peu « remuante ».

    En 1376, avec vingt-deux de ses disciples, elle se rend en Avignon et obtient le retour du Pape à Rome. Au cours de ses extases, pendant l'année 1378, elle dicte Le Dialogue à ses secrétaires. Elle meurt le 29 avril 1380, et elle est canonisée par le pape Pie II, le 29 juin 1461.

    Chez   Catherine,   aucune   incompatibilité entre vie active et vie contemplative. Plus elle est mystique, plus elle est active. « Sa cellule intérieure » elle la transporte partout où elle va. Son style peut parfois nous dérouter voire nous choquer mais Catherine était flamme, était feu, était amour passionné de son Seigneur et de l'Eglise.

     

    Alors le feu du ciel illumina l’église…J’ai ensuite été saisi par la statue du Christ portant la croix. « Mais, dis-je à Christophe, c’est le frère du David de Michel-Ange que j’ai vu il y a longtemps déjà à Florence. » - « Bien sûr, fit Christophe, ce Christ-Sauveur est du même Michel-Ange. » Nous eûmes enfin la joie de nous recueillir sur la tombe du bienheureux Fra Angelico.

    Saint-Louis-les-Français est tout près de la place Minerve. La façade renaissance rappelle qu’on est en France avec les statues de Charlemagne, saint Louis, sainte Clotilde et sainte Jeanne de Valois, mais les marbres, les dorures et les stucs signent le baroque. Ce qui attire les touristes, ce sont les Caravage, la vocation de Matthieu, son martyre et Matthieu avec l’Ange. Je ne suis pas insensible à ces peintures ; elles me fascinent et me rappellent par leur clair-obscur les portraits Marie-Madeleine ou la nativité de Georges de la Tour. Transposés dans une ambiance familière, les événements sacrés sont saisis dans leur évidence spirituelle grâce au rôle révélateur de la lumière qui ne vient pas d’une bougie, comme chez le peintre de Vic-sur-Seille, mais d’une source extérieure qui transfigure les personnages. Mais l’église est avant tout un lieu de prière. Comment pourrais-je ne pas rendre grâces au Seigneur pour la riche histoire de notre pays et ne pas intercéder pour le présent et l’avenir.

                    

    Et il ya tout près de là l’église Saint-Augustin. Je n’ai pas vu le portrait de l’évêque d’Hippone par du Gueschin, comme l’annonce mon petit livre, ni rien d’autre de lui dans la trop rapide visite, mais lui, Augustin, était là présent en moi de tout son être. « Vous êtes grand, Seigneur, écrit-il au commencement de ses Confessions, et souverainement digne de louanges, grande est votre puissance et votre sagesse sans bornes. » Et ceci que Maurice Zundel ne cesse de citer dans ses sermons : « Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard, je vous ai aimée. C’est que vous étiez au-dedans de moi et moi, j’étais au dehors de moi ! » J’ai cependant remarqué, non sans surprise, un Caravage, celui de la Vierge des pèlerins et l’ai admiré infiniment plus que l’Isaïe de Raphaël tant vanté par la critique. Et puis, fit remarquer Christophe, voyez là au-dessus de l’autel les restes de sainte Monique, la mère d’Augustin. L’histoire le prouve, ce sont bien ses restes, à elle.

     

    Cinq églises en moins de trois heures, il faut le faire. Nous étions vannés, mais heureux. Merci, Christophe. A une table de terrasse, une pizza et un verre de vin nous remettent d’aplomb.

     

    Jeudi 13 novembre

    Notre dernier Jour à Rome. Demain, avant l’aube, nous volerons vers Baden-Baden. Avant que l’aube se lève sur la Ville Sainte, nous descendons à la chapelle du couvent pour la messe, une messe que le brave Franciscain de service achève ce matin-là, comme les jours précédents, en un quart d’heure. A peine le temps de souffler ! Et après la messe, le petit déjeuner, le meilleur moment de la journée ! Un peu de courrier, puis nous allons à la découverte de trois églises, où il me tenait à cœur de prier : Saint-Pierre-aux-Liens, saint Clément et Saint-André-au-Quirinal.

    D’abord Saint Pierre-aux-Liens. Ce n’est pas très loin du couvent, nous y allons à pied paisiblement. D’abord l’église paraît nue : pas de bancs ni  de chaises, comme partout ailleurs, dans presque toutes les églises de Rome. J’ai un peu l’impression d’être dans un immense hall vide. Ça m’avait choqué il y a cinquante sept ans, ça me choque aujourd’hui encore. J’essaie de m’en abstraire et d’entrer dans la grande histoire, celle qui marque le temps pour toujours et que racontent les Actes des Apôtres :

    À cette époque, le roi Hérode Agrippa se saisit de certains membres de l’Église pour les mettre à mal. Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter. Voyant que cette mesure plaisait aux Juifs, il décida aussi d’arrêter Pierre. C’était les jours des Pains sans levain. Il le fit appréhender, emprisonner, et placer sous la garde de quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. Tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insistance. Hérode allait le faire comparaître. Or, Pierre dormait, cette nuit-là, entre deux soldats ; il était attaché avec deux chaînes et des gardes étaient en faction devant la porte de la prison. Et voici que survint l’ange du Seigneur, et une lumière brilla dans la cellule. Il réveilla Pierre en le frappant au côté et dit : « Lève-toi vite. » Les chaînes lui tombèrent des mains. Alors l’ange lui dit : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales. » Ce que fit Pierre. L’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. » Pierre sortit derrière lui, mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l’ange était bien réel ; il pensait qu’il avait une vision. Passant devant un premier poste de garde, puis devant un second, ils arrivèrent au portail de fer donnant sur la ville. Celui-ci s’ouvrit tout seul devant eux. Une fois dehors, ils s’engagèrent dans une rue, et aussitôt l’ange le quitta.    Alors, se reprenant, Pierre dit : « Vraiment, je me rends compte maintenant que le Seigneur a envoyé son ange, et qu’il m’a arraché aux mains d’Hérode et à tout ce qu’attendait le peuple juif. »

     

    Depuis ce temps, l'Église fait plus de cas de ces précieuses chaînes que des plus riches trésors, elles sont précieusement vénérées ici, en ce lieu. Je me souviens des dernières paroles du Christ à Pierre : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » (Evangile de Jean chapitre 21, verset 18). Cette ceinture n’est autre que la chaîne de Jérusalem d’abord, celle de Rome ensuite. Les deux chaînes, en possession du Pape Léon Ier, se seraient miraculeusement soudées lorsqu'il les aurait approchées l'une de l'autre. Elles sont là devant nous, exposées dans la châsse. Je pense à toutes les chaînes que portent les persécutés d’aujourd’hui.

    Nous voici devant Moïse, dans le transept droit, descendu du Sinaï avec les Tables de la Loi données par Dieu, regarde, courroucé, les juifs adorant le veau d'or. Michel-Ange au sommet de son art. Freud note qu’il a introduit dans la figure de Moise quelque chose de neuf, de surhumain ; il ne jette pas à terre, ne brise pas les tables, comme il est écrit dans la Bible : pour Michel-Ange la puissante masse et la musculature exubérante de force du héros ne seraient «  qu’un moyen d’expression tout matériel servant l’exploit psychique le plus formidable dont un homme soit capable : vaincre sa propre passion au nom d’une mission à laquelle il s’est voué. » C’est, depuis que je l’ai vue la première fois en 1957, la sculpture qui m’impressionne le plus.

    Nous participons à la messe de midi qui se célèbre en face, dans la chapelle du transept gauche, puis nous passons à la pension pour nous reposer et manger, avant de nous y rendre

    à Saint-André-au-Quirinal.

    Pourquoi Saint-André-au-Quirinal ? Tout simplement à cause d’une page de la Croix qui a paru la veille de notre départ, celle du 8-9 novembre dernier. Il y est question de Stanislas Kostka. Je la cite presque tout entière, tant elle m’alla droit au cœur :

    « Quand il vint étudier à Rome après son ordination en 1946, Karol Wojtyla prit l’habitude, chaque matin avant d’aller aux cours, d’entrer dans l’église Saint-André-au-Quirinal : non pour admirer ce joyau conçu par le Bernin, mais pour se recueillir sur la tombe de saint Stanislas Kostka. Le futur saint Jean-Paul II éprouvait une grande admiration pour son compatriote, pour ce saint « si sensible et tendre » qui « parvint avec beaucoup d’amour, mais aussi avec beaucoup de fermeté, à faire ce qu’il avait résolu de faire ». Malgré sa brièveté, la vie de saint Stanislas Kostka constitue en effet un exemple lumineux pour tous ceux qui se sentent appelés à la suite du Christ, mais rencontrent de grands obstacles. Né en 1550 au sein d’une famille noble de Pologne, Stanislas fut envoyé à Vienne en 1564 pour étudier au collège des jésuites. En lui grandit peu à peu le désir de servir le Seigneur en entrant à son tour dans la Compagnie de Jésus. Mais son père s’y opposa fermement et le provincial d’Autriche, craignant d’irriter l’influent sénateur Kostka, refusa d’admettre Stanislas au noviciat. Alors, un matin d’août 1567, le jeune noble osa l’impensable : il fugua !

    Il troqua ses vêtements habituels pour un simple habit de toile de sac et, tel un pèlerin pauvre, se mit en route. D’abord pour Augsbourg, puis pour Dillingen en Bavière, où il rencontra Pierre Canisius, provincial d’Allemagne. Ce dernier fut vite convaincu des grandes qualités spirituelles de son visiteur. Il le recommanda auprès de François de Borgia, alors supérieur général de la Compagnie de Jésus à Rome. Après un trajet long et difficile qu’il effectua à pied avec deux autres candidats-novices, Stanislas Kostka finit par arriver dans la Ville éternelle en octobre 1567. François de Borgia fut aussi impressionné que Pierre Canisius par la piété, la douceur et la détermination du jeune homme. Quelques jours plus tard, en dépit des lettres menaçantes et blessantes de son père, Stanislas Kostka réalisait son projet le plus cher : il entrait au noviciat des jésuites. Dix mois plus tard, sa santé déclina subitement et il s’éteignit le 15 août 1568, jour de l’Assomption. Tout un symbole pour cette âme pure qui avait confié un jour à un autre novice avoir été gratifié d’une vision de la Vierge tenant Jésus dans ses bras. Béatifié en 1605, Stanislas Kostka a été proclamé saint en 1726. Chaque année, comme Karol Wojtyla en son temps, de nombreux étudiants, séminaristes et novices continuent à se rendre sur sa tombe. Ils lui demandent d’intercéder en leur faveur afin que la grâce de la persévérance leur soit donnée. »

     

    Vous comprenez l’empressement que j’avais ce matin-là de gravir la colline du Quirinal. Non pas tant pour admirer l’œuvre du Bernin, que pour prier avec Stanislas Kostka et la cohorte des Jésuites qui furent formés dans les bâtiments annexes de l’église qui devinrent le nouveau noviciat de l’ordre. Peu après la mort d’Ignace de Loyola ils étaient plus de deux cents à s’y préparer à leur mission. Je pensais aussi à ma mission. A mon ordination il y a cinquante ans. Je pense à Thérèse de Lisieux, à la première page de ses Manuscrits autobiographiques : … « ouvrant le Saint Évangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : — " Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu'il lui plut; et ils vinrent à Lui. " (Marc, chap. III, v. 13). Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme... Il n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît ou comme le dit saint Paul : “Dieu a pitié de qui II veut et II fait miséricorde à qui II veut faire miséricorde. Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. " (Rom. 9, 15 et 16). » (Le pape François hier sur la place Saint-Pierre ne disait rien d’autre que la petite carmélite de Lisieux !) Je veux rendre grâce au Seigneur et « sans fin chanter son amour » pour le chemin qu’il m’a été donné de faire, malgré mes faiblesses et mes lourdeurs. Je n’ai pas souhaité fêter ce jubilé, mais ce pèlerinage est le plus beau cadeau que le ciel ait pu me réserver. Et je remercie Antoinette H. d’en avoir été l’instigatrice, sans qu’elle le sût. Je ne le savais pas moi-même ; je le découvre ici, à l’heure même où j’écris. Elle l’apprendra elle-même quand elle lira ces lignes et elle sera la première à les lire. Elle comprendra pourquoi il m’était si difficile ce jour-là de prendre congé de Saint-André-au-Quirinal. Tout prend sens dans la vie, souvent de manière imprévisible. Dieu écrit droit avec des lignes courbes.

    Il est trop tard de nous rendre à Saint-Clément. Tant pis ! J’aurais voulu m’arrêter devant la fresque de l’abside, la crucifixion au milieu d’une polyphonie de couleurs et de symboles, puis descendre lentement à travers la basilique inférieure, jusqu’au-dessous de la nef, dans ce qui reste d’un petit temple où se célébrait le culte du dieu Mithra. Je me souvenais de tout cela trop vaguement pour ne pas avoir voulu raviver la mémoire sur place. Les Mémoires d’Hadrien avaient encore renouvelé le désir : l’empereur, qui était alors consul et qui avait passé de nombreuses années au contact des Thraces fut touché par le culte de ce dieu venu de la lointaine Asie, par les exigences de son ascétisme qui « tendait durement l’arc de la volonté, par l’obsession de la mort et du sang. » Il raconte comment il fut initié « dans un donjon de bois et de roseaux, au bord du Danube » et largement aspergé avec le sang d’un taureau qui agonisait sur un plancher au-dessous duquel il se tenait, et comment de telles sociétés pouvaient donner l’impression d’échapper aux limites de la condition humaine. « Chacun de nous se sentait assimilé à l’ivresse divine », note-t-il. Pourquoi ne pas rêver de temps à autre ? Mais ce soir-là, le dernier à Rome, nous étions épuisés et pleinement heureux de ce qu’il nous avait été donné de vivre en ces cinq journées romaines. Et puis il nous fallut préparer le lendemain et être prêts avant le chant du coq pour ne pas rater le retour…

                                                                                                                          BM

     

                                                                                                                                                                                                                                  

     


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    On peut toujours pleurer sur ce qui n’est pas.

    Lundi, 10 novembre dernier. On monte les marches de Saint-Pierre de Rome. L’intérieur de la basilique s’ouvre à nous comme s’ouvre le ciel. On regarde en silence, on s’arrête, on savoure chaque instant. Une douce musique vient du dedans. A droite, la pietà de Michel-Ange. On avance dans la nef. Nous prenons un peu de repos sur un banc. Antoinette observe ce qui se passe à travers la foule dense qui défile devant nous, tandis que je médite en moi-même; elle me fait signe: « Regarde, c’est Jean XXIII», dit-elle, toute émue. » D’un bond nous nous levons et nous approchons de l’autel ; nous sommes à deux pas du Saint. C’est bien lui, Jean XXIII ; il est là devant nous dans une châsse, tel que je l’ai vu de son vivant, dans sa rondeur habituelle. Long silence. Des images défilent dans la tête. Je pense au discours qu’il fit là, tout près, le 11 octobre 1962, qui ouvrit le Concile Vatican II : Nous ne sommes pas d’accord, disait-il, avec les prophètes de malheur qui ne voient dans les temps modernes que ruines et décadence … Il faut inventer (…) et présenter la foi de l’Eglise dans le langage du monde actuel… J’étais alors à moins de deux ans de l’ordination et ces mots m’allaient droit au cœur. Comment ne me réjouirais-je pas aujourd’hui quand le journal la Croix commence un tour de France de l’innovation et de la création, avec l’idée qu’il ne faut pas désespérer de tout, alors que les médias nous fatiguent avec les catastrophes de tous les jours. Il y a tant de positif ! En réalité, ce n’est pas la France seule, c’est tout le vieux monde qui semble en panne. Où est ta vigueur ? demandait le pape François, avec son regard argentin, dans le discours devant les députés de l’Europe, car on a l’impression d’une Europe fatiguée et vieillie, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante ou encore d’un arbre coupé de ses racines.          

    ……………………..

    Jeudi, le 13 novembre. Rome. C’est avec empressement que j’ai gravi ce jour-là la colline du Quirinal, vers la petite église Saint-André. Non pas tant pour admirer l’œuvre du Bernin, que pour prier avec Stanislas Kostka et la cohorte des Jésuites qui furent formés dans le nouveau noviciat de la Compagnie de Jésus attenant à l’église. Peu après la mort d’Ignace de Loyola ils étaient plus de deux cents à s’y préparer à leur mission. Je pensais aussi à ma mission. A mon ordination il y a cinquante ans. Un verset de Marc me vint en mémoire : " Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu'il lui plut; et ils vinrent à Lui. " (3, 13). Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière, Jésus n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît. Le pape François hier sur la place Saint-Pierre ne disait rien d’autre ; la petite carmélite de Lisieux, le dit pareillement à la première page de ses Manuscrits autobiographique ; et moi, Seigneur, en cet instant, je veux te rendre grâce et sans fin chanter ton amour pour le chemin qu’il m’a été donné de faire, malgré mes faiblesses et mes lourdeurs. Je n’ai pas souhaité fêter ce jubilé, mais voici qu’à cet instant précis, à Saint-André-au-Quirinal, ce pèlerinage s’offre comme le plus beau cadeau que le ciel ait pu me faire. Et je remercie Antoinette H. d’en avoir eu l’initiative, sans qu’elle sût le prix qu’il prendrait à mes yeux. Je ne le savais pas moi-même au départ pour Rome; je le découvre ici, à l’heure même où j’écris. Antoinette l’apprendra quand elle lira ces lignes et elle sera la première à les lire. Elle comprendra pourquoi il m’était si difficile en cette fin d’après-midi de prendre congé de Saint-André-au-Quirinal. Tout prend sens dans la vie, souvent de façon imprévisible. Dieu écrit droit avec des lignes courbes.

                                                                                                                          Bernard Molter


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  • Connaissez-vous Malala ? Moi, Malala, je lutte pour l’éducation et je résiste aux talibans. A seulement 16 ans, en 2013, elle obtient le prix Sakharov pour la liberté d’expression et de pensée, puis en 2014 celui du Nobel de la paix, dans la lignée d'Aung San Su Ky ou de Nelson Mandela . L’histoire se passe au Pakistan. Où la jeune fille est née en 1997 dans une famille pauvre dans la vallée de Swat, au Nord-Ouest du pays, surnommée la Petite Suisse. La naissance d’une fille n’est pas fêtée. Les garçons seuls sont rois. Son père avait fondé une école avec un ami. et sillonnait le pays pour appeler à l’éducation, et à ouvrir les écoles aux filles. Il était réputé pour ses discours. Sa fille qui le suivait partout prenait part toute petite déjà aux discussions. C’ezt ainsi qu’elle s’ouvrit très jeune aux problème de son pays.

    Tout changea avec l’arrivée des talibans : ils ferment les écoles et même les détruisent. Ils se disent les vrais musulmans : les femmes doivent rester à la maison, cuisiner et faire des enfants ; ils assassinent tous ceux qui leur résistent. Des lettres de menace arrivent au père de Malala. Début 2009, toute la vallée est forcée à l’exode. En juillet de la même année la nouvelle se répand que les talibans avaient été chassés. Retour dans la vallée. Beaucoup de maisons avaient été pillées ou détruites. Celle de Malala est intacte. Seules les poules manquent, regrette le frère de Malala. Malala fait parvenir une lettre à la BBC.

    Elle se rend à la capitale Islamabad où elle obtient une entrevue avec un général de l’armée pakistanaise. Ce dernier parle de victoire dans la vallée. Elle pose des questions sur un taliban, Fazlullahh : est-il vivant ou mort ? Pourquoi ne pas l’attraper et le traduire en justice ? Elle explique aussi qu’il n’y a plus d’argent pour les écoles. Quoi faire ? Les militaires envoient immédiatement une aide financière importante.

    1. En pleine période d’examen, Malala et ses amies prennent le bus pour rentrer à la maison, quand arrive le drame. Deux hommes arrêtent le bus et demandent : qui est Malala. Avant même qu’elle réponde, elle reçoit une balle dans la tête et tombe sur les genoux de son amie.

    Premiers soins dans son pays. Heureusement le cerveau n’est pas atteint dans ses parties essentielles. Puis transfert dans un hôpital en Angleterre. Sa mère se tourne vers Dieu en priant : « Mon Dieu, je remets ma fille à ta protection ; elle était sous ta protection et tu dois nous la rendre. »  

    Malala  n'a que onze ans quand elle devient célèbre sur un blog dans sa langue maternelle Journal d'une écolière pakistanaise (avec des extraits en anglais) sur le site Internet de la chaîne britannique BBC. La jeune Pachtoune y dénonce les violences commises par les talibans qui, après avoir pris le contrôle de la vallée de Swat au nord-ouest du Pakistan en 2007, incendient les écoles pour filles et assassinent leurs opposants dans la région. Aujourd'hui âgée de 16 ans, elle veut consacrer sa vie à ce combat. "Plus tard, je serai une femme politique. Je veux changer l'avenir de mon pays et rendre l'éducation obligatoire ;; et me battre comme l’a fait Benazir Bhutto", a-t-elle confié, le 7 octobre, à la BBC. On se souvient comment Bhutto a été assassinée en 2007.

    Malala devient une icône internationale. En quelques jours, après l’attentat,  plus d'un million de personnes avaient déjà signé une pétition pour soutenir l'écolière. Et Gordon Brown, l'ancien premier ministre britannique, devenu envoyé spécial de l'ONU pour l'éducation mondiale, fonçait à Islamabad pour rencontrer le président pakistanais, lui présenter la pétition et affirmer que "tant qu'il y aura des filles qui ne vont pas à l'école dans le monde, Malala sera leur lueur d'espoir".

    J’évoque cette histoire exemplaire, car elle rejoint tout à fait ce que nous vivons actuellement chez nous avec les massacres de la première semaine de janvier dernier : les talibans au Pakistan et en Afghanistan, les Djihadistes chez nous à Paris, à Londres ou à New-York, les islamistes contre les Kurdes en Syrie et en Irak, et ceux qui sèment la terreur en Afrique sont tous de  la même mouvance extrême islamistes. Il y a des choses difficiles dans notre monde, mais en même temps des merveilles. Le nom de Malala s’ajoute à ceux d’Aung San Su Khi, la Birmane, de Nelson Mandela, de Martin Luther King, de Gandhi et de bien d’autres libérateurs dans l’histoire de notre terre. Comment ne pas rendre grâces au Seigneur : ils cherchent à ce que l’humanité vive dans la paix et le respect mutuel. Ils ne sont pas nécessairement chrétiens, mais ne répondent-ils pas de manière forte à l’appel du Christ ? Ne cherchent-ils pas à libérer l’humanité des griffes du démon ? De ce démon que l’on voit à l’œuvre dans l’évangile d’aujourd’hui et contre lequel le Christ a lutté. N’est-ce pas le même Esprit à l’œuvre en ce monde ?

     

     

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    « Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse »

    (Nietzsche, “Ainsi parlait Zarathoustra", Prologue, paragraphe 5)

     

    Pour qui a part à la pensée ou à la création artistique, cette phrase résonne comme une promesse. Presque un slogan que nos contemporains festifs pourraient reprendre à leur compte. Elle procède à un constat qui stimule le vœu secret de qui a le souci de son existence. Elle énonce une condition et un but auxquels, a priori, aucun créateur ne souhaite se sentir étranger. Nous espérons être gros de quelque chose, et cette phrase vient comme une promesse d'éclosion. Elle flatte notre si répandu rêve d'accomplissement: Coïncider glorieusement avec soi au moyen d'une création inédite -un astre neuf. Cette réception immédiate et intuitive, tient sans doute à quelques mots-dés, dont l'addition éblouit et sidère: le chaos, l'enfantement, l'étoile, la danse. Toutefois, à la relecture - «Une délicate lenteur est le tempo de mon discours -, la fulgurance de la métaphore persiste et s’agrippe... Longtemps, j'ai eu en mémoire cette phrase formulée ainsi: «Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse.» L'omission du «encore» lui faisait perdre son caractère d'urgence et en facilitait l'appropriation par l'adolescent que j'étais, qui pouvait la brandir comme un étendard: à moi le tumulte supposé du génie, à vous l'insipidité de «l'œil pareil à un lac uni et maussade». Cette récupération héroïco-vantarde, je m'aperçus plus tard que Heidegger, à la suite de Nietzsche, la fustigeait sèchement comme le «besoin de petit-bourgeois en veine de sauvagerie». Ou comment s'imaginer avoir la tête dans les étoiles, et se retrouver cul à terre… Plus de vingt ans après ces «exubérances pseudo-transgressives» (Jacques Derrida), le pouvoir de fascination de cette phrase reste intact. D'une part, l'injonction intime perdure et, d'autre part, la justesse de la métaphore se trouve validée par l'expérience. Mes corps à corps pédagogiques ou professionnels avec «la Tempête», le répertoire baroque français, «le Soulier de satin», Marivaux, «les Paravents» ou Beckett m'ont souvent laissé démuni, incertain, errant, A la différence des peintres ou des écrivains, nous, interprètes ou metteurs en scène, avons le redoutable privilège de travailler des matières existantes -des écritures. Notre quotidien est un commerce avec des étoiles déjà enfantées, des étoiles qu'il importe de faire danser, toujours de nouveau. Une traduction d'éclats qui s'accomplit au risque de la trahison. Cette pratique de seconde main ne dispense pas -pour peu que l'on ressente violemment ie harpon incitatif des mots de Nietzsche- de tenter de démêler les conditions requises pour un tel enfantement; «une étoile qui danse». Car il est des rencontres avec telles de ces étoiles -des textes de théâtre- qui contraignent au chaos, qui obligent à «re-susciter» le chaos qui les enfanta. Si l'on en croit Zarathoustra, de la qualité du chaos dépendrait la valeur de l’étoile à venir. De l’aptitude du chaos, de la capacité à accueillir età entretenir le chaos en soi, procéderait l'éclat dansant de l'étoile. Mais ce chaos, qu'est-il au juste? Un état inorganisé, informe, indifférencié? Un bouillonnement de forces contradictoires? Nietzsche insiste: «Le caractère du monde est celui d'un chaos éternel, non du fait de l'absence de nécessité, mais du fait de l'absence d'ordre, d'enchaînement de forme, de beauté, de sagesse, bref, de toute esthétique humaine» («le Gai Savoir»), Ce préalable à tout ordonnancement, c'est «l'antérieur de toutes les sédimentations formelles et rationnelles de la représentation» (Paul Mathias), Relativement à notre pratique, il faut s'oublier, se mécomprendre dans le face-à-face avec le texte, avec l'espace, avec l'acteur. Une aptitude à accueillir sans jugement une «multiplicité originairement exclusive de toute unité et de toute forme» (Heidegger), Cette disponibilité, qui lors" de la lecture a permis d'entrevoir la compréhension organique de l'œuvre, doit trouver son équivalent scénique, Aimanté par une nuée de motifs, gorgé d'intuitions contradictoires, guidé par une prescience de l'architecture intime de l'œuvre et habité par un appétit d'images, le metteur en scène s'expose aux acteurs - ou l'inverse. Commence alors ce que j'aime   appeler  «l'appropriation   scandaleuse».   Cette parenthèse surréelle "où les acteurs s'en remettent à quelqu'un qui n'est pas l'auteur, juste «un porte-voix, le médium de forces supérieures» («Ecce homo»). Quel est son rôle lors de cette immersion dans l'écriture, lors de ces balbutiements d'incarnation, de souffles, de rythmes et de voix? Transmettre ses intuitions, évoquer son cheminement au cœur des structures profondes, suggérer des appuis de jeu... Ecouter et observer, surtout, Maintenir une attention globale et une saisie infinitésimale des propositions des acteurs. Les délibérément intelligentes, les prétendument sensibles, celles qu'ils font à leur insu. Et, face à cette profusion de signes et d'affects, résister le plus longtemps possible à toute interprétation, accepter le désarroi, la perplexité, le doute... Rebondir sur tel geste étrange, saisir à la volée un râle énigmatique, affiner telle inflexion, intensifier un état, pas de manière décisive, juste pour voir… Cette quête auprès d'acteurs aux prises avec une écriture s'apparente à une exploration intime, «Celui qui voit au fond de soi comme dans un univers immense et porte en lui des voies lactées sait le désordre de leurs routes; elles mènent jusqu'au chaos, au labyrinthe de “l'existence” («le Gai Savoir»), La contemplation sauvage et. avide de l'acteur en travail, mêlée à la présomption folle de savoir mieux que lui ce qui est juste, n'exclut pas de se laisser happer par sa détresse ou d'éprouver physiquement ses errances, «Le chaos signifie aussi le bâillement, le béant, ce qui se fend en deux [...], l'abîme qui s'ouvre», précise Heidegger, Toute la science des répétitions est de préserver cette béance qui répond de la fertilité de l'échange entre celui qui acte et celui qui prend acte. Le souci du chaos n'est pas tout. On peut: chercher des mois, se complaire dans une quête inachevée et sublime, parce qu’infinie. Reste l'enfantement. Au théâtre, la crainte de figer prématurément les choses doit faire place à une formalisation de la foule de perceptions, de sensations et d'intuitions recueillies. C'est l'heure indécidable, mais inéluctable, où «l'idée organisatrice qui n'a fait que croître en profondeur se met à commander et vous ramène par des chemins détournés», A quoi reconnaît-on les premières contractions? Peut-être à l'advenue lumineuse d'une évidence, à un pétillement de perspectives, à une exaltation à voir s'agencer l'informe, «Les choses viennent s'offrir d'elles-mêmes pour servir d'images.» Cette révélation soudaine est comme un ultimatum jubilatoire qui met fin aux hésitations et incite à l'orchestration franche de l'espace, des rapports, des scènes, Ne reste plus aux acteurs qu'à revisiter chaque soir, sur scène et en coulisses, le chaos qui aura présidé à l'enfantement d'une étoile dont le public évaluera la vertu dansante.

     

     

    « Une étoile qui danse sur le chaos »

    Gabriel Ringlet

     

    Voici peu, je recevais dans mon prieuré celle que des enfants en grande difficulté d’expression ont un jour baptisée la Dame des mots : Ève Ricard. Pendant de longues années, comme orthophoniste, elle va accompagner, pas à pas, des jeunes défavorisés, souvent maltraités, parfois complètement emmurés dans un lourd passé d’échec, rejetés par une école qui ne veut plus d’eux. Pour tenter de les conduire vers la lecture et vers l’écriture, Ève Ricard va se tenir au plus près de leur propre parole, avec comme première règle professionnelle : « Être aimante » . Et amener leurs parents à les aimer ! «  Mais regardez votre enfant comme il est beau ! » , dira-t-elle à un couple interloqué. Et le gosse est devenu beau, « littéralement » parce qu’ « il se sentait regardé autrement » .

    Et voilà qu’à l’âge de 42 ans, précocement, la Dame des mots est atteinte de la maladie de Parkinson. Alors, ses « petits », elle va s’en approcher plus encore pour leur faire découvrir des mots qui, à la longue, vont lui échapper. Convaincue avec Nietzsche qu’ « il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse », Ève qui aime tant danser, surtout sur l’herbe, pieds nus – et elle le fait encore ! –, va vivre sa maladie comme une musicienne, certaine qu’une voix « venue du ciel » accompagne sa rude traversée.

    Comme une étoile qui danse sur le chaos, Jésus entre dans Jérusalem au rythme dansant d’un ânon. Voilà qui intrigue beaucoup « quelques Grecs » soucieux d’en savoir plus. Étrangers, cultivés, un rien marginaux, ils désirent mieux connaître ce rabbi si particulier, applaudi par la foule et contesté par les autorités.

    Aussi voudraient-ils « voir Jésus » d’un peu plus près. C’est bien plus que de la curiosité. Les Mages aussi voulaient « voir » , très au-delà du simple regarder. Chez saint Jean, « voir » indique une perception profonde, un chemin intérieur, contemplatif, dans l’espoir d’approcher le mystère d’une étoile qui danse au-dessus d’une crèche ou d’un ânon. Alors les Grecs en parlent à un compatriote, Philippe, qui en parle à André, un autre Grec, et tous deux s’en ouvrent à leur maître.

    Jésus ne ferme pas la porte, loin de là. Puisque voilà des étrangers sincèrement désireux de voir plus loin, il saisit l’occasion de rappeler qu’«  un épi est la gloire d’un grain mort » et que « ce qu’on garde se dessèche, mais ce qu’on sème va vivre » (Jean Grosjean).

    Comprennent-ils, les « quelques Grecs montés à Jérusalem » , que Jésus, bouleversé, parle de son avenir immédiat, que l’heure arrive, et elle est là, où luimême sera jeté en terre avant de porter « beaucoup de fruits » , qu’une lumière va s’éteindre pour mieux éclairer ?

    Alors, comme au baptême, comme à la Transfiguration, une voix « venue du ciel » se met à dire : « Je l’ai déjà glorifié et je vais le glorifier encore. » Pour l’hébreu, « glorifier » est une affaire d’éclat, de lumière, et donc d’étoile.

    Après avoir manifesté sa gloire en s’approchant des plus démunis, que de fois ce Fils étoilé n’a-t-il pas dansé sur le chaos de la souffrance ?

    Et la voix nous dit – à nous ! – qu’il dansera, demain, sur le chaos de la mort.

    En dansant sur le chaos de son Parkinson, Ève Ricard entraîne les mots de sa poésie au cœur de sa maladie. Encouragée par la voix « venue du ciel » , elle honore « la vie funambule » et ne cesse de rendre gloire à la lumière : «  Si la nuit descend et parfois me pénètre

    Je dessine un grand soleil au rebord de mon âme . » (1).

    « Si la nuit descend et parfois me pénètre, Je dessine un grand soleil au rebord de mon âme. »

    (1) Ève Ricard, Une étoile qui danse sur le chaos, Albin Michel, 2015, p. 92.


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